INSOMNIE 13
Marie Lorioux
Je marche dans les rues de Poitiers, un petit mois de novembre fiévreux. J'aborde la passerelle au bout de la rue de la Croix-Rouge sous le pont de la pénétrante. Palimpseste de tags : le silence taillait des crayons dans la rue.
J'entends mes pas résonner, respire l'air froid du petit matin et croise le reflet d'un Christ en croix, au creux de la vitre d'une fenêtre, au premier étage d'une maison attenante à une école catholique. Le corps blanc, percé, se détache dans la noirceur de la nuit glacée et lunaire. Le sacrifié sur sa croix me semble si mortifère, si ridicule. Éloge du sacrifice délétère et morbide. Religions barbares qui ne relient rien mais coupent, morcellent, cassent, tuent, détruisent. Grand chaos humain labellisé. J'ai froid, envie de rire, froid, je lutte contre les images morbides : des corps couverts de sang, une chaussure, les mains inertes d'un cadavre dans le caniveau, au pied des chaises tombées au bord du trottoir, sur les terrasses des cafés. Beaucoup de sang et cette odeur âcre, rance, amère. Une odeur métallique rouge. Oui le sang a une odeur, je l'ai appris à mes dépens. Elle remonte... cette odeur... envahit mes narines... mon estomac... je coupe le circuit.
Les images disparaissent... j'ai beaucoup travaillé pour y parvenir. Un an exactement. Deux rendez-vous par mois en biodynamique psycho-corporelle.
7h du matin, un dernier regard au sacrifié morbide et je reprends ma marche. Les sociétés humaines en sont encore là... tout me semble soudain si vide, si vain. Vanités ridicules, dérisoires. Je passe sous le pont en direction du marché de la ZUP. Des frissons parcourent mon corps. Je réajuste mon col, mon écharpe douce et accélère le pas. Un chat au poil si noir qu'il semble bleu traverse la rue et me regarde étrangement sous la lune. Ses pupilles lumineuses et profondes me ramènent à mon silence initial. Comme si je n'étais pas encore née, pas là. Pas encore là. En état de gestation profonde et nocturne, fondue dans le paysage.
Je reste concentrée sur la marche, poursuis mon avancée dans la nuit, invisible et saisis au vol quelques images en suspens. Mon appareil photo est en bandoulière, à l'affût. Les photographies s'imposent parfois au détour d'une rue plus sombre ou plus claire.
7h20. Voilà plus de 20 heures que je n'ai pas fermé l'œil : nous sommes le 13, un an après l'horreur. Je cale mon souffle sur la marche. Des détonations affleurent, surgissent encore à la surface de ma mémoire. Elles deviennent vite assourdissantes. Des acouphènes m'assaillent et une fois de plus, resurgit le 13 novembre 2015.
22h32, angle de la rue Alibert et de la rue Bichat, 11e arrondissement, des détonations ! sûrement des explosions de pétards... Je suis en face de Samira, ma colocataire, laquelle déroule le programme des révisions pour les partiels d'Histoire. On verra demain ces révisions ! je dis à Samira complètement excitée et sûrement un peu anxieuse aussi, au regard du programme : Les écritures miroir des hommes et des sociétés, d'avant l'écriture à l'ère électronique. Vaste programme ! En attendant, je bois un verre ! Juste un verre ou deux en terrasse et comme je n'ai pas mangé... Des salves encore, des cris, une Fiat noire, des portières claquent. Un jeune, très jeune homme, court une arme dans les bras, je me couche. À terre. Samira. Elle appuie sur mon épaule. Se faire petites, toute petites. Nos corps se blottissent l'un contre l'autre. Se faire le plus petite possible. J'entends ses pas, les pas du très jeune homme à la Kalach, il passe près de mon corps. Ne regarde pas ! La voix de Samira à mon oreille. Je mets mon visage dans mes mains, je cache mes yeux comme les enfants.
Je me dis : si tu ne regardes pas, le tireur ne te verra pas.
Hier soir, 12 novembre 2016, je ne suis pas rentrée chez moi après le travail. Je n'ai pas pu. J'ai marché, marché toute la nuit dans les rues sombres et calmes de Poitiers, une ville de province tranquille, apaisante. J'ai fui définitivement Paris depuis un an. Trop de gens, trop de bruit, trop. Aux infos de 20 heures, dans un café de la place du marché, ils ont annoncé la commémoration. J'ai revu les personnes du Petit Cambodge, les rues, la réouverture du restaurant minuscule où j'allais déguster des bo bun avec Samira, souvent. Ils ont entièrement rénové le lieu : une grande baie vitrée, des luminaires formés d'une simple ampoule à filament orange, en suspension depuis le plafond. On distingue désormais parfaitement les clients, à l'intérieur du restaurant. Mieux encore qu'avant. Cette immense baie vitrée offre un angle de choix. De tir plus grand... je pense en une fraction de seconde, avant de couper court. J'ai appris depuis un an, j'ai travaillé beaucoup, dessiné beaucoup afin de couper ce court-circuit, ce cir.../ ce circuit court, ce court-circuit.
Photographié l'aube.
Les visages aussi.
Beaucoup.
Aux infos, sur le grand écran de la Brasserie du Marché, j'ai le temps de distinguer la fresque des douze carreaux blancs : elle commémore l'attentat dans un angle discret du mur du restaurant.
Douze carreaux blancs comme douze petites tombes.
L'odeur du sang d'un seul coup encore.
Ce soir-là, en 2015, à Paris, lorsque je n'ai plus entendu le bruit des pas du très jeune homme à la Kalach, j'ai ouvert les yeux. On y va, vite, ils sont partis ! a dit Samira. On a pris avec nous une très jeune fille, blessée à la jambe. Nous la tenions par les épaules et la taille de chaque côté. On l'a aidée à courir. On a couru ensemble, serrées les unes contre les autres, longtemps. Des détonations au loin. Une sorte d'errance. Les rues du 11e et du 10e arrondissement. Des rues sombres, sans lumière, sans lune, sans issue, des rues noires, labyrinthiques. Et le Minotaure, multiple peut-être, au détour de l'une de ces issues.
Le quartier était bouclé, on ne pouvait plus rentrer chez nous, personne ne nous parlait, on courait, on entendait des cris, des sirènes. La jeune fille perdait du sang. Samira lui parlait, lui parlait tout le temps Tu t'appelles comment ? Tu habites où ? Tu as quel âge ? Tu fais des études de philo c'est ça ? Tu fais de la danse aussi, non ?
Au bout d'une heure d'errance, on a enfin rejoint les secours.
Aujourd'hui, à Poitiers, mes semelles sont de plomb et j'avance encore comme une somnambule mais j'avance et je ne lâcherai pas ce chemin pentu : la rue de la Cueille-Aiguë. Je frôle le jour, celui qui se lève enfin, après un an d'incapacité totale à traverser, rejoindre, m'attarder dans un espace public bondé. Je cherche la pointe, l'extrême pointe du soleil dans l'horizon profond de la nuit.
Je photographie l'aube.
Des milliers de clichés, dans mon appartement depuis le 13 : L'aube à Porto, Lisbonne, Rogil ou Grenade, sur le Guadalquivir. L'aube dans les rues de Marseille, Montpellier, Toulouse.
7h58 : enfin ! La voilà ! Le soleil perce, ses rayons dessinent un nouveau visage. Je dégaine mon appareil. Le déclencheur. L'obturateur résonne. Je mitraille. Des camaïeux de jaunes et orangers diffractés et limpides. Comme des petites gouttes délicates et brûlantes en suspension.
Je ne cache pas mes yeux dans mes mains. Je regarde la brûlure en face.
Je saisis l'aube du bout des doigts.
J'emprunte ensuite le chemin des Dunes, lequel longe des petites falaises, les HLM et les maisons du quartier des Couronneries. Le Clain berce la ville moyenâgeuse de son bras courbe et limpide : il reflète les lumières douces et calmes du lever de soleil. Je dégaine encore, braque et mitraille. Repère bientôt un toit de hangar sur lequel je grimpe et mitraille encore. Puis rejoins enfin un petit carré de jardin à l'abandon et m'allonge un instant dans les mousses pour observer les nuages. - Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? (…) ta patrie ? - J'ignore sous quelle latitude elle est située. - Eh qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ? J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages !
9 heures. J'ai dû m'assoupir. J'ouvre les yeux ! De hautes tours HLM surplombent le chemin, à droite. Leurs habitants s'agitent, moi aussi. Le poème de Baudelaire me revient en mémoire. Je reprends mes esprits, me lève, traverse un square. Je croise des bambins à cartables en retard sur les chemins de l'école puis le porche sombre d'une zone commerciale. Le néon bleu et rose d'une enseigne clignote. Je rejoins enfin le marché du mercredi sur la place de la ZUP, d'un pas souple et ample. Mon pouls est calme. Cette fois c'est fini, je le sais.
Je reconnais La Poste au loin. L'exploit consiste maintenant à traverser la foule afin de retirer de l'argent au guichet automatique, à l'autre extrémité de la place de Provence. Mon souffle est soudain plus court et mon pouls s'accélère mais je ne renonce pas. Je fends la foule des quidams qui se pressent déjà de toutes parts en direction des étals de marchandises. Des gens aux allures étranges me pressent, me poussent sans le vouloir, déferlent de droite et de gauche. Je tourne la tête : mon point de départ est bien loin. J'avance un pas, deux, mes battements de coeur accélèrent encore. Des chemins comme un labyrinthe. Des gouttes de transpiration sous mon pull, ma nuque de marbre, mes épaules contractées. Je résiste, souffle, déroule mon écharpe et sors ma poitrine rentrée. J'ai presque atteint le petit supermarché sous le hall... après il ne reste que 30 mètres. Un homme me bouscule ! Mon cœur s'emballe sans que je ne puisse plus rien faire. Je cours en avant sans distinguer nettement où je vais. Des étals de fruits et légumes, des oranges. Elles roulent sur le sol, Attention ! une dame crie, une autre, l'odeur de la glace, son empilement, les étals de poissons, la viande, rouge, la tête me tourne. J'ai froid, me réfugie à l'entrée du supermarché moins bondé.
Je cache mon visage dans mes mains, me calme... tente d'y voir plus clair.
Au bout de quelques minutes, sous le porche vide, mon pouls ralentit. Je respire et reprends la traversée. Passée la poste, devant le centre des impôts et la police nationale, je distingue une tente sous laquelle sont disposées une table et des chaises. Comme une somnambule, je marche alors dans cette direction et m'arrête enfin sous l'abri, face aux fourneaux.
Deux vieilles femmes aux fichus fleuris un peu vieillots s'affairent derrière deux grandes plaques de cuisson noires et brûlantes. Elles étendent la pâte molle en galette mince et blanche et la laissent chauffer lentement. Les galettes se couvrent bientôt de craquelures aux extrémités puis se courbent en aspérités hâlées, douces et pleines. J'ai marché toute la nuit, dormi une demi-heure à peine. J'ai faim. Extrêmement faim.
À l'intérieur des galettes, on ne sait pas vraiment... la première femme en décolle une. Elle tourne le dos aux clients. Elle glisse des épinards, des morceaux de tomates, de légumes et de veau coupé très fin, roule la galette mince puis la dispose et l'emballe dans un papier blanc légèrement fariné. C'est chaud, rebondi. Un peu mou tendre et sec à la fois ; parfumé et délicieux.
Je déguste mon premier borek.
Un jeune homme, sûrement le fils d'une des deux femmes, m'offre un thé noir. Je remercie, bois doucement le breuvage brûlant. Mon cœur a repris un rythme normal... Mes muscles cependant sont encore tendus et ma paupière saute, vibre toute seule. Je fais un effort radical pour regarder les gens installés autour de la table en plastique blanc. Un vieil homme, assez petit, à la bouille ronde et aux rides profondes, s'adresse à un homme plus jeune et grand, moustachu, assez charpenté, la cinquantaine. Ils se racontent l'un l'autre des vieux souvenirs, rient parfois et leurs regards se figent souvent, perdus dans le lointain. Chacun dans sa sphère, remplie des reflets du Bosphore, des bruits, des rues grouillantes d'Istanbul ou de la grande mosquée bleue. Brusquement, au loin un jeune barbu en djellaba noire ! Il est immense et droit comme une croix métallique. Son visage maigre est très allongé. Mon sang se fige malgré moi, mes yeux clignent plus vite, je cherche une issue. Il paraît qu'il y a un stand des Frères musulmans sur le marché, maintenant. Quand tu poses une question, ils ne répondent qu'aux hommes, il paraît. Je cherche une issue de secours. Nécessité de fuir. Je résiste, accuse l’amalgame délétère et respire, respire ! comme j'ai appris à le faire.
Une femme en boubou bleu et jaune se tient également près de la table : elle préfère rester debout ! merci. Une étudiante chargée de courses s'approche et s'assoit. Son regard vert de gris reste braqué sur ses gestes à elle, fins et élégants, comme si elle avait peur de l'extérieur. On dirait qu'elle fait tout pour ne pas prendre trop de place ou croiser ne serait-ce qu'un regard.
Une dame très maquillée, cheveux gris et lunettes Dior, promène un jeune chien. Elle s'assoit aussi et discute. Personne ne l'écoute vraiment. Peut-être juste l'étudiante ou moi. Elle parle un peu toute seule. Elle m'invite à la table commune. Je lutte contre l'anxiété qui reprend, résiste et fais finalement l'effort.
Je m'assois : elle enchaîne. Le chiot, elle l'a trouvé dans son jardin, ce matin... Des gens l'ont laissé là, cette nuit ! Elle a entendu une portière claquer puis le grincement du portail rouillé. C'est sûr, c'est des jeunes du quartier. Ils savent qu'elle récupère les chiens dont personne ne veut plus.
Je souris, demande le nom du chien, m'intéresse... Soudain, la vieille femme turque au fichu fleuri noué autour de la tête, sort de derrière ses fourneaux sous la tente et s'approche de moi. Elle se penche sur mon sac posé à terre et Stupeur ! ouvre délicatement la fermeture Éclair sans que personne ne se rende compte de rien !
Mais qu'est-ce qu'elle fait ? Sans rien dire, elle dépose un paquet blanc bien ficelé à l'intérieur de mon sac. Personne ne réagit... Je résiste à la tentation de stopper net son action et déguerpir. Je ne peux rien faire... suis comme paralysé... la vieille femme turque est déjà repartie.
Malgré moi, les battements de cœur accélèrent, j'ai froid, je cherche un appui du regard. Mon corps se contorsionne délicatement. Mes jambes se serrent l'une dans l'autre, comme malgré elles. Les gens autour de la table n'ont rien vu ? Vraiment ? ou sont complices ? Pour qui elle se prend, cette fichue vieille ! Cette vieille femme turque, Nom de Dieu !
Ma nuque se contracte, la lumière de 10 heures me fait mal aux yeux. Des détonations affleurent. Les sonneries de téléphone dans les poches des cadavres sur les trottoirs des rues de Paris, Oui on sait on arrive les pompiers au bout du fil. Le Bataclan au bout de la rue. Nouveau court-circuit. Je plonge mon regard dans celui du vieil homme très ridé en face de moi et reste sans voix. Entre la surprise radicale, l'hésitation et la peur. Forcément oui, la peur. Absolue. Pour ne pas dire la terreur.
Contre toute attente, le vieil homme me sourit.
Le chien abandonné dans mon jardin, c'est un bâtard ! Croisé entre un doberman et un labrador... vous savez, le chien de Mitterrand ? enchaîne la dame aux lunettes.
Et vous, vous soignez les chiens abandonnés ? je dis, en jetant quand même discrètement un œil à la fermeture zip de mon sac.
Oui, on peut dire ça. Les chats, aussi... Les gens aujourd'hui, si vous saviez, ils prennent un animal comme ils achètent une barquette de viande. Si ça ne leur plaît pas : ils jettent !
Pour éviter la mécanique du pire, je renchéris :
Ha bon ? Vous en récupérez souvent des animaux ? C'est bizarre qu'ils viennent les déposer dans votre jardin...
Bon sang ! la mamie turque, je ne la vois plus ! elle a plié bagage... Pourquoi est-elle partie si vite ? Je tourne rapidement la tête et scrute la tente : son fils est toujours là... derrière les fourneaux...
Je viens de Venise, en service civique à la fanzinothèque ! tente Claudia, je suis Italienne. Ici, en France, j'aime bien, on danse tous en rond... La première fois c'était très étrange pour moi, puis ça m'a plu ! Après, chaque fois que je venais en France, je dansais ! Je dansais beaucoup, j'aimais ça.
Ha ! C'était peut-être en Bretagne ? je demande, en surveillant cette fois discrètement, le fils de la mamie au paquet.
Le visage de Claudia s'ouvre et s'éclaire :
C'est ça ! C'était des danses bretonnes ! À Venise on dansait « la ronde aux trois pas », dans une asso de l'Alliance française. J'adorais ça, alors je suis venue en France pour danser et je suis restée !
Elle scrute ma réaction, devine une certaine anxiété. Malgré moi, je reste concentrée sur le paquet ficelé et glissé dans mon sac, même si je n'ose y toucher et adopte un air détaché. Pourquoi suis-je incapable de l'ouvrir ? Comme interdite, murée, pétrifiée.
Je cherche une dernière fois du regard la vieille cuisinière turque. Les Turcs... ce ne sont pas des Arabes, je pense, ce sont des Ottomans... oui ! Mais ils sont musulmans et les musulmans ne sont pas tous islamistes... islamiques. Islamiques ou islamistes ? La vieille femme turque a définitivement disparu...
Adile... tu sais, la mamie turque... Elle fait ça, de temps en temps le dimanche, quand ça lui chante, avec les gens qui s'arrêtent à sa table... précise la dame au chien.
J'ouvre enfin la fermeture Éclair de mon sac de sport, posé à terre. La bombe glissée à l'intérieur est un second borek !
Délicatement empaqueté et ficelé.
Une explosion sur le marché de la ZUP.
Un attentat humain.
La déflagration est vive et l'onde de choc se propage encore autour de la table : des paroles, des mots tissés.
Sans prévenir.
Avant de quitter le marché, je me retourne une dernière fois et fais un signe à la mamie turque. Elle est maintenant installée sur une chaise de camping en tissu fleuri, à l'arrière de la tente aux boreks. Juste sous les deux nouvelles caméras de surveillance installées par la ville, depuis peu.
Elle me sourit et fait un petit signe de la main. Je rebrousse chemin et avance vers elle. Je reviendrai !... avec des amis, dimanche prochain ! Elle se lève, saisit mes mains. On se dit « à mercredi... mercredi prochain » et je quitte bientôt la place pour rentrer chez moi.
J'ai pris le maquis. Enfin !
Un borek offert.
Une bombe dans mon sac.
Une vieille dame turque : terroriste.
J'entends mes pas résonner, respire l'air froid du petit matin et croise le reflet d'un Christ en croix, au creux de la vitre d'une fenêtre, au premier étage d'une maison attenante à une école catholique. Le corps blanc, percé, se détache dans la noirceur de la nuit glacée et lunaire. Le sacrifié sur sa croix me semble si mortifère, si ridicule. Éloge du sacrifice délétère et morbide. Religions barbares qui ne relient rien mais coupent, morcellent, cassent, tuent, détruisent. Grand chaos humain labellisé. J'ai froid, envie de rire, froid, je lutte contre les images morbides : des corps couverts de sang, une chaussure, les mains inertes d'un cadavre dans le caniveau, au pied des chaises tombées au bord du trottoir, sur les terrasses des cafés. Beaucoup de sang et cette odeur âcre, rance, amère. Une odeur métallique rouge. Oui le sang a une odeur, je l'ai appris à mes dépens. Elle remonte... cette odeur... envahit mes narines... mon estomac... je coupe le circuit.
Les images disparaissent... j'ai beaucoup travaillé pour y parvenir. Un an exactement. Deux rendez-vous par mois en biodynamique psycho-corporelle.
7h du matin, un dernier regard au sacrifié morbide et je reprends ma marche. Les sociétés humaines en sont encore là... tout me semble soudain si vide, si vain. Vanités ridicules, dérisoires. Je passe sous le pont en direction du marché de la ZUP. Des frissons parcourent mon corps. Je réajuste mon col, mon écharpe douce et accélère le pas. Un chat au poil si noir qu'il semble bleu traverse la rue et me regarde étrangement sous la lune. Ses pupilles lumineuses et profondes me ramènent à mon silence initial. Comme si je n'étais pas encore née, pas là. Pas encore là. En état de gestation profonde et nocturne, fondue dans le paysage.
Je reste concentrée sur la marche, poursuis mon avancée dans la nuit, invisible et saisis au vol quelques images en suspens. Mon appareil photo est en bandoulière, à l'affût. Les photographies s'imposent parfois au détour d'une rue plus sombre ou plus claire.
7h20. Voilà plus de 20 heures que je n'ai pas fermé l'œil : nous sommes le 13, un an après l'horreur. Je cale mon souffle sur la marche. Des détonations affleurent, surgissent encore à la surface de ma mémoire. Elles deviennent vite assourdissantes. Des acouphènes m'assaillent et une fois de plus, resurgit le 13 novembre 2015.
22h32, angle de la rue Alibert et de la rue Bichat, 11e arrondissement, des détonations ! sûrement des explosions de pétards... Je suis en face de Samira, ma colocataire, laquelle déroule le programme des révisions pour les partiels d'Histoire. On verra demain ces révisions ! je dis à Samira complètement excitée et sûrement un peu anxieuse aussi, au regard du programme : Les écritures miroir des hommes et des sociétés, d'avant l'écriture à l'ère électronique. Vaste programme ! En attendant, je bois un verre ! Juste un verre ou deux en terrasse et comme je n'ai pas mangé... Des salves encore, des cris, une Fiat noire, des portières claquent. Un jeune, très jeune homme, court une arme dans les bras, je me couche. À terre. Samira. Elle appuie sur mon épaule. Se faire petites, toute petites. Nos corps se blottissent l'un contre l'autre. Se faire le plus petite possible. J'entends ses pas, les pas du très jeune homme à la Kalach, il passe près de mon corps. Ne regarde pas ! La voix de Samira à mon oreille. Je mets mon visage dans mes mains, je cache mes yeux comme les enfants.
Je me dis : si tu ne regardes pas, le tireur ne te verra pas.
Hier soir, 12 novembre 2016, je ne suis pas rentrée chez moi après le travail. Je n'ai pas pu. J'ai marché, marché toute la nuit dans les rues sombres et calmes de Poitiers, une ville de province tranquille, apaisante. J'ai fui définitivement Paris depuis un an. Trop de gens, trop de bruit, trop. Aux infos de 20 heures, dans un café de la place du marché, ils ont annoncé la commémoration. J'ai revu les personnes du Petit Cambodge, les rues, la réouverture du restaurant minuscule où j'allais déguster des bo bun avec Samira, souvent. Ils ont entièrement rénové le lieu : une grande baie vitrée, des luminaires formés d'une simple ampoule à filament orange, en suspension depuis le plafond. On distingue désormais parfaitement les clients, à l'intérieur du restaurant. Mieux encore qu'avant. Cette immense baie vitrée offre un angle de choix. De tir plus grand... je pense en une fraction de seconde, avant de couper court. J'ai appris depuis un an, j'ai travaillé beaucoup, dessiné beaucoup afin de couper ce court-circuit, ce cir.../ ce circuit court, ce court-circuit.
Photographié l'aube.
Les visages aussi.
Beaucoup.
Aux infos, sur le grand écran de la Brasserie du Marché, j'ai le temps de distinguer la fresque des douze carreaux blancs : elle commémore l'attentat dans un angle discret du mur du restaurant.
Douze carreaux blancs comme douze petites tombes.
L'odeur du sang d'un seul coup encore.
Ce soir-là, en 2015, à Paris, lorsque je n'ai plus entendu le bruit des pas du très jeune homme à la Kalach, j'ai ouvert les yeux. On y va, vite, ils sont partis ! a dit Samira. On a pris avec nous une très jeune fille, blessée à la jambe. Nous la tenions par les épaules et la taille de chaque côté. On l'a aidée à courir. On a couru ensemble, serrées les unes contre les autres, longtemps. Des détonations au loin. Une sorte d'errance. Les rues du 11e et du 10e arrondissement. Des rues sombres, sans lumière, sans lune, sans issue, des rues noires, labyrinthiques. Et le Minotaure, multiple peut-être, au détour de l'une de ces issues.
Le quartier était bouclé, on ne pouvait plus rentrer chez nous, personne ne nous parlait, on courait, on entendait des cris, des sirènes. La jeune fille perdait du sang. Samira lui parlait, lui parlait tout le temps Tu t'appelles comment ? Tu habites où ? Tu as quel âge ? Tu fais des études de philo c'est ça ? Tu fais de la danse aussi, non ?
Au bout d'une heure d'errance, on a enfin rejoint les secours.
Aujourd'hui, à Poitiers, mes semelles sont de plomb et j'avance encore comme une somnambule mais j'avance et je ne lâcherai pas ce chemin pentu : la rue de la Cueille-Aiguë. Je frôle le jour, celui qui se lève enfin, après un an d'incapacité totale à traverser, rejoindre, m'attarder dans un espace public bondé. Je cherche la pointe, l'extrême pointe du soleil dans l'horizon profond de la nuit.
Je photographie l'aube.
Des milliers de clichés, dans mon appartement depuis le 13 : L'aube à Porto, Lisbonne, Rogil ou Grenade, sur le Guadalquivir. L'aube dans les rues de Marseille, Montpellier, Toulouse.
7h58 : enfin ! La voilà ! Le soleil perce, ses rayons dessinent un nouveau visage. Je dégaine mon appareil. Le déclencheur. L'obturateur résonne. Je mitraille. Des camaïeux de jaunes et orangers diffractés et limpides. Comme des petites gouttes délicates et brûlantes en suspension.
Je ne cache pas mes yeux dans mes mains. Je regarde la brûlure en face.
Je saisis l'aube du bout des doigts.
J'emprunte ensuite le chemin des Dunes, lequel longe des petites falaises, les HLM et les maisons du quartier des Couronneries. Le Clain berce la ville moyenâgeuse de son bras courbe et limpide : il reflète les lumières douces et calmes du lever de soleil. Je dégaine encore, braque et mitraille. Repère bientôt un toit de hangar sur lequel je grimpe et mitraille encore. Puis rejoins enfin un petit carré de jardin à l'abandon et m'allonge un instant dans les mousses pour observer les nuages. - Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? (…) ta patrie ? - J'ignore sous quelle latitude elle est située. - Eh qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ? J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages !
9 heures. J'ai dû m'assoupir. J'ouvre les yeux ! De hautes tours HLM surplombent le chemin, à droite. Leurs habitants s'agitent, moi aussi. Le poème de Baudelaire me revient en mémoire. Je reprends mes esprits, me lève, traverse un square. Je croise des bambins à cartables en retard sur les chemins de l'école puis le porche sombre d'une zone commerciale. Le néon bleu et rose d'une enseigne clignote. Je rejoins enfin le marché du mercredi sur la place de la ZUP, d'un pas souple et ample. Mon pouls est calme. Cette fois c'est fini, je le sais.
Je reconnais La Poste au loin. L'exploit consiste maintenant à traverser la foule afin de retirer de l'argent au guichet automatique, à l'autre extrémité de la place de Provence. Mon souffle est soudain plus court et mon pouls s'accélère mais je ne renonce pas. Je fends la foule des quidams qui se pressent déjà de toutes parts en direction des étals de marchandises. Des gens aux allures étranges me pressent, me poussent sans le vouloir, déferlent de droite et de gauche. Je tourne la tête : mon point de départ est bien loin. J'avance un pas, deux, mes battements de coeur accélèrent encore. Des chemins comme un labyrinthe. Des gouttes de transpiration sous mon pull, ma nuque de marbre, mes épaules contractées. Je résiste, souffle, déroule mon écharpe et sors ma poitrine rentrée. J'ai presque atteint le petit supermarché sous le hall... après il ne reste que 30 mètres. Un homme me bouscule ! Mon cœur s'emballe sans que je ne puisse plus rien faire. Je cours en avant sans distinguer nettement où je vais. Des étals de fruits et légumes, des oranges. Elles roulent sur le sol, Attention ! une dame crie, une autre, l'odeur de la glace, son empilement, les étals de poissons, la viande, rouge, la tête me tourne. J'ai froid, me réfugie à l'entrée du supermarché moins bondé.
Je cache mon visage dans mes mains, me calme... tente d'y voir plus clair.
Au bout de quelques minutes, sous le porche vide, mon pouls ralentit. Je respire et reprends la traversée. Passée la poste, devant le centre des impôts et la police nationale, je distingue une tente sous laquelle sont disposées une table et des chaises. Comme une somnambule, je marche alors dans cette direction et m'arrête enfin sous l'abri, face aux fourneaux.
Deux vieilles femmes aux fichus fleuris un peu vieillots s'affairent derrière deux grandes plaques de cuisson noires et brûlantes. Elles étendent la pâte molle en galette mince et blanche et la laissent chauffer lentement. Les galettes se couvrent bientôt de craquelures aux extrémités puis se courbent en aspérités hâlées, douces et pleines. J'ai marché toute la nuit, dormi une demi-heure à peine. J'ai faim. Extrêmement faim.
À l'intérieur des galettes, on ne sait pas vraiment... la première femme en décolle une. Elle tourne le dos aux clients. Elle glisse des épinards, des morceaux de tomates, de légumes et de veau coupé très fin, roule la galette mince puis la dispose et l'emballe dans un papier blanc légèrement fariné. C'est chaud, rebondi. Un peu mou tendre et sec à la fois ; parfumé et délicieux.
Je déguste mon premier borek.
Un jeune homme, sûrement le fils d'une des deux femmes, m'offre un thé noir. Je remercie, bois doucement le breuvage brûlant. Mon cœur a repris un rythme normal... Mes muscles cependant sont encore tendus et ma paupière saute, vibre toute seule. Je fais un effort radical pour regarder les gens installés autour de la table en plastique blanc. Un vieil homme, assez petit, à la bouille ronde et aux rides profondes, s'adresse à un homme plus jeune et grand, moustachu, assez charpenté, la cinquantaine. Ils se racontent l'un l'autre des vieux souvenirs, rient parfois et leurs regards se figent souvent, perdus dans le lointain. Chacun dans sa sphère, remplie des reflets du Bosphore, des bruits, des rues grouillantes d'Istanbul ou de la grande mosquée bleue. Brusquement, au loin un jeune barbu en djellaba noire ! Il est immense et droit comme une croix métallique. Son visage maigre est très allongé. Mon sang se fige malgré moi, mes yeux clignent plus vite, je cherche une issue. Il paraît qu'il y a un stand des Frères musulmans sur le marché, maintenant. Quand tu poses une question, ils ne répondent qu'aux hommes, il paraît. Je cherche une issue de secours. Nécessité de fuir. Je résiste, accuse l’amalgame délétère et respire, respire ! comme j'ai appris à le faire.
Une femme en boubou bleu et jaune se tient également près de la table : elle préfère rester debout ! merci. Une étudiante chargée de courses s'approche et s'assoit. Son regard vert de gris reste braqué sur ses gestes à elle, fins et élégants, comme si elle avait peur de l'extérieur. On dirait qu'elle fait tout pour ne pas prendre trop de place ou croiser ne serait-ce qu'un regard.
Une dame très maquillée, cheveux gris et lunettes Dior, promène un jeune chien. Elle s'assoit aussi et discute. Personne ne l'écoute vraiment. Peut-être juste l'étudiante ou moi. Elle parle un peu toute seule. Elle m'invite à la table commune. Je lutte contre l'anxiété qui reprend, résiste et fais finalement l'effort.
Je m'assois : elle enchaîne. Le chiot, elle l'a trouvé dans son jardin, ce matin... Des gens l'ont laissé là, cette nuit ! Elle a entendu une portière claquer puis le grincement du portail rouillé. C'est sûr, c'est des jeunes du quartier. Ils savent qu'elle récupère les chiens dont personne ne veut plus.
Je souris, demande le nom du chien, m'intéresse... Soudain, la vieille femme turque au fichu fleuri noué autour de la tête, sort de derrière ses fourneaux sous la tente et s'approche de moi. Elle se penche sur mon sac posé à terre et Stupeur ! ouvre délicatement la fermeture Éclair sans que personne ne se rende compte de rien !
Mais qu'est-ce qu'elle fait ? Sans rien dire, elle dépose un paquet blanc bien ficelé à l'intérieur de mon sac. Personne ne réagit... Je résiste à la tentation de stopper net son action et déguerpir. Je ne peux rien faire... suis comme paralysé... la vieille femme turque est déjà repartie.
Malgré moi, les battements de cœur accélèrent, j'ai froid, je cherche un appui du regard. Mon corps se contorsionne délicatement. Mes jambes se serrent l'une dans l'autre, comme malgré elles. Les gens autour de la table n'ont rien vu ? Vraiment ? ou sont complices ? Pour qui elle se prend, cette fichue vieille ! Cette vieille femme turque, Nom de Dieu !
Ma nuque se contracte, la lumière de 10 heures me fait mal aux yeux. Des détonations affleurent. Les sonneries de téléphone dans les poches des cadavres sur les trottoirs des rues de Paris, Oui on sait on arrive les pompiers au bout du fil. Le Bataclan au bout de la rue. Nouveau court-circuit. Je plonge mon regard dans celui du vieil homme très ridé en face de moi et reste sans voix. Entre la surprise radicale, l'hésitation et la peur. Forcément oui, la peur. Absolue. Pour ne pas dire la terreur.
Contre toute attente, le vieil homme me sourit.
Le chien abandonné dans mon jardin, c'est un bâtard ! Croisé entre un doberman et un labrador... vous savez, le chien de Mitterrand ? enchaîne la dame aux lunettes.
Et vous, vous soignez les chiens abandonnés ? je dis, en jetant quand même discrètement un œil à la fermeture zip de mon sac.
Oui, on peut dire ça. Les chats, aussi... Les gens aujourd'hui, si vous saviez, ils prennent un animal comme ils achètent une barquette de viande. Si ça ne leur plaît pas : ils jettent !
Pour éviter la mécanique du pire, je renchéris :
Ha bon ? Vous en récupérez souvent des animaux ? C'est bizarre qu'ils viennent les déposer dans votre jardin...
Bon sang ! la mamie turque, je ne la vois plus ! elle a plié bagage... Pourquoi est-elle partie si vite ? Je tourne rapidement la tête et scrute la tente : son fils est toujours là... derrière les fourneaux...
Je viens de Venise, en service civique à la fanzinothèque ! tente Claudia, je suis Italienne. Ici, en France, j'aime bien, on danse tous en rond... La première fois c'était très étrange pour moi, puis ça m'a plu ! Après, chaque fois que je venais en France, je dansais ! Je dansais beaucoup, j'aimais ça.
Ha ! C'était peut-être en Bretagne ? je demande, en surveillant cette fois discrètement, le fils de la mamie au paquet.
Le visage de Claudia s'ouvre et s'éclaire :
C'est ça ! C'était des danses bretonnes ! À Venise on dansait « la ronde aux trois pas », dans une asso de l'Alliance française. J'adorais ça, alors je suis venue en France pour danser et je suis restée !
Elle scrute ma réaction, devine une certaine anxiété. Malgré moi, je reste concentrée sur le paquet ficelé et glissé dans mon sac, même si je n'ose y toucher et adopte un air détaché. Pourquoi suis-je incapable de l'ouvrir ? Comme interdite, murée, pétrifiée.
Je cherche une dernière fois du regard la vieille cuisinière turque. Les Turcs... ce ne sont pas des Arabes, je pense, ce sont des Ottomans... oui ! Mais ils sont musulmans et les musulmans ne sont pas tous islamistes... islamiques. Islamiques ou islamistes ? La vieille femme turque a définitivement disparu...
Adile... tu sais, la mamie turque... Elle fait ça, de temps en temps le dimanche, quand ça lui chante, avec les gens qui s'arrêtent à sa table... précise la dame au chien.
J'ouvre enfin la fermeture Éclair de mon sac de sport, posé à terre. La bombe glissée à l'intérieur est un second borek !
Délicatement empaqueté et ficelé.
Une explosion sur le marché de la ZUP.
Un attentat humain.
La déflagration est vive et l'onde de choc se propage encore autour de la table : des paroles, des mots tissés.
Sans prévenir.
Avant de quitter le marché, je me retourne une dernière fois et fais un signe à la mamie turque. Elle est maintenant installée sur une chaise de camping en tissu fleuri, à l'arrière de la tente aux boreks. Juste sous les deux nouvelles caméras de surveillance installées par la ville, depuis peu.
Elle me sourit et fait un petit signe de la main. Je rebrousse chemin et avance vers elle. Je reviendrai !... avec des amis, dimanche prochain ! Elle se lève, saisit mes mains. On se dit « à mercredi... mercredi prochain » et je quitte bientôt la place pour rentrer chez moi.
J'ai pris le maquis. Enfin !
Un borek offert.
Une bombe dans mon sac.
Une vieille dame turque : terroriste.