Nous nous tenons tous sur la pente de la nuit, ensommeillés, solitaires, humains ou non. Nous nous tenons tous sur sa pente, comme avant de nous y fondre, glisser, ou couler. Mais, se tenir sur sa pente ne signifie pas, loi de la tombe, la brusque remise au hasard ; le passage simple et gratuit de soi à l’Anonyme, aux mondes muets, aux spectres,… que l’on ne connaîtra, d’ailleurs, qu’en rêvant notre vie qui s’éloigne. Se tenir sur sa pente, c’est disputer aux possibles le droit de les choisir, avant de s’engager dans son dédale, et de s’y trouver, ou reconnaître, ou disparaître – ce que l’on ne sait jamais. *** La nuit n’est pas un habitat, mais la blancheur en trêve d’elle-même. *** Mais le jour, demandera-t-on ? Mais ses œuvres ? En partance de ténèbres, semble-t-il, quand la nuit ramène à elle les légions d’insomniaques qui veillent – et passent leur temps à l’apostasier. *** L’ingénu soigne sa question : qui veille pour la nuit, alors, quelle insomnie prend soin d’elle ?
N’y a-t-il pas là confusion de manières ? Nous nous mentons dans la nuit, tous autant que nous sommes, en cherchant le Vrai qui n’est jamais que vraisemblable. Ainsi commencent les rêves. *** La nuit s’ameute et monte, pour nous, veilleurs, comme la honte, la douleur ou l’épiphanie. Et nous la traversons, parce que nous ne savons pas où elle se refuge, et nous longeons ses pentes, et tout se mêle, des mots aux choses, des vivants aux morts, des minutes à l’éternité. Toute nuit est singulièrement universelle. *** L’ingénu reprend sa question : mais à tant reparaître, la nuit est-elle encore unique ? Après tout ce temps ? Et toutes ces heures passées à perdre le nord, ou, apophatiquement, le regagner ? La nuit est unique, par les heures qu’elle soustrait, les espoirs qu’elle s’agrippe, les aubes qu’elle s’invente. Et nous en sommes les suivants. *** Nous n’avons jamais son dernier mot, tant l’insomnie creuse le vertige de la langue, et de la chair livrée aux archaïsmes. Nous sommes, chaque fois, ses noirs chaperons, en quête de cette lumière qui n’existe, peut-être, qu’à se dissimuler dans le noir, en tissant vies, rêves et salvations, avant que de briller, diurne, sur les maux de la terre. *** Lorsque la nuit voyage, c’est nous qu’elle met à la levée des corps.