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EN ERRANCE
Marie Lorioux

Photo
En partance, en errance
Des silhouettes hautes effilées tendues vers
Avancent
Foules silencieuses
Erratiques
Sillons immenses depuis l'origine
Nuit Jour / Jour /

Nuit de Naissance

Arrachements simples
À la terre natale, fatale
En rafale :
Je pars de Guinée
Je pars du Sénégal
Je pars de Gambie
Je pars du Nigeria
Je pars de Côte d'ivoire
Je pars


Nous remontons les fleuves des déserts


Traversées multiples empêchées éraflées
— Chaotiques ?
— Non. Parce que je crois !
Je crois oui... Là bas !
Là bas, n'est pas mon trépas

Mais Ailleurs
Le merveilleux Ailleurs
Éden scandaleux, oasis d'or et d'encens
Parfums entêtants et suaves
Havre d'argent
Inch Allah ! : foulez saoulez mes pas
Guidez-moi

Le soleil rouge sur la terre de mes ancêtres
Loin derrière
La lumière vive sur les tours de l'Europe
Clinquante et trébuchante
Au creux de mes yeux noirs
Des yeux de ma mère, de mon père de mes frères

Je suis pas à pas le rêve
Je suis leur rêve

« Va ! Et ne reviens pas »
« Va ! Là-bas ! »
Au sommet des frontières hautes !

//
Surabondance débordante
Et clinquante 
L'Europe aux Cent mille banques !
Portique doré de l'exil fantasmé
Des richesses fertiles
Éternelles
Rêve infini des miens
//

Pour cette raison même,
Je ne pourrai dire
Jamais décrire
Jamais dire
Leur raconter,
Raconter à mes frères, à ma mère...

Je ne pourrai jamais...
Aux miens
À ceux qui sont restés

La traversée noire enclave et glaciale des déserts

Jusqu'au point de butée
Enfermé bâillonné
Au point nommé sans non/m digne : La Libye

Libye
Libye
Là-bas, oui, j'ai vu !
J'ai vu le diable

Chaines endémiques des coups  : la Libye,
À Sehba
Des coups
Le sabbat
Pleuvent coupent et tranchent le dos : la Libye.
À Sehba
Me recroqueville me fonds dans le sable, la chair, le sable et déclenche ouvre
Une fenêtre lunaire


Nul n'atteint mon esprit
Nul n'atteint le fond de ce que je suis
Les coups
Encore
Je prie
Me taire / m'enfuis / m'enterre, les coups, dans le sable
Un ghetto
Les coups

Je me fonds dans le ciel 
A l'abri
Havre de paix
Sans enclaves

ET Toujours, encore, au fond de moi
Cette fenêtre lunaire ouverte sur des terres apaisées
Scandaleusement fertiles
Douces et filantes sous les étoiles
— Non, Ils n'auront pas qui je suis, moi Adjiba !

Silence glacial du désert,
Je m'endors


//
Une autre nuit pourtant,
Une nuit Autre
La dixième
Au point nommé sans non/m digne : la Libye !

Terre glaciale
Acétique
Un Libyen en tenue de camouflage, deux, trois

Menace, entasse amasse
Un tas
Nous emmène
Un tas
Une dizaine

Trajet froid
Vide
Dépourvu
Des fantômes en cale sous la nuit
À l'arrière des camions bennes


Un petit homme près de moi très jeune
Me prend pour son frère...
-— « Ici tu ne dois compter que sur toi ! Que sur toi ! » je souffle à son oreille


Bientôt
Le désert
En creux
Une ferme
En ruines
Des hommes
En tenues de camouflage

1. Ils nous font descendre et marcher en enfilade
sous la lune froide et bleue
2. Nous positionne
en rang debout
3. Face à eux /aux visages de vertige / grands ouverts

Près de moi Le petit homme comme mon frère
Il a froid

— Qui a besoin d'un homme jeune ? C'est un homme jeune et fort ! Il va creuser !

Le petit homme comme mon frère
Soudain sourit
Il croit qu'on envie sa force et sa jeunesse

Ses yeux comme deux diamants fantômes
Ses dents blanches dans l'air glacial de la nuit noire
Rient encore,

Se détachent
et flottent sur son visage...

//

Après, tout va très vite
500 ?
550 ?
600 ?
Vendu !
On le pousse devant son nouveau maître
On me pousse devant mon nouveau maître
Au point nommé sans non/m digne : La Libye

— Là-bas, tu es moins que rien, tu es moins qu'un chien !

Des murs entre nous tranchants

Vous en Europe : les coquilles chavirées sur vos écrans
Multiples
Barques flottantes de cadavres noirs
Zodiacs aux trois cents yeux encavés/excavés
Méditerranée
MÉDITERRANÉE !
Litanies errantes de vos écrans gelés

Pourtant le chaos est ailleurs
Est l'Ailleurs
Le merveilleux Ailleurs : le grand voyage vers...
ET
AU POINT NOMMÉ SANS NON/M DIGNE :
La Libye

//

Moi Adjiba l'homme noir
Je parle depuis Nantes
Je parle depuis La Rochelle
Je parle depuis Bordeaux
Depuis tous les comptoirs des cent mille gloires

Blanches

Dites-le
Dites à vos écrans à vos politiques à vos enfants
À vos amis à vos

Moi je ne peux pas
Ils sont restés espèrent, rêvent et croient
L'Europe Asile Éden
L'Ailleurs, le merveilleux Ailleurs...
Tu comprends, les miens là-bas y croient !
Je ne peux pas
Aux miens dire...

Le pire

Dis-le toi !
Dites-le, vous !
AU POINT NOMMÉ SANS NON/M DIGNE : la libye
La Libye
Marché d'hommes noirs enclavés
La Libye enclavée marché d'esclaves
ESCLAVAGE
Le mot à nouveau, né
Jour nuit jour nuit

Noir

SPOKEN WORDS
Texte écrit à partir du récit d'Adjiba 16 ans parti de Côte d'ivoire et arrivé à Paris, en septembre 2017.




                         EN CAVALE
                            Marie Lorioux

Photo

 

Le petit homme s'est évadé de la ferme du libyen avec moi
Ses yeux comme deux iris fantômes
nous avons cheminé côte à côte jusqu'au point du jour :
Un camion à ciel ouvert nous a vite embarqué en échange d'une petite fortune cousue dans les semelles de mes chaussures

Nos économies au passeur pour traverser à nouveau le fleuve déchaîné du désert
Sahara
Glacé de dunes noires effacées par un vent effarant
Nous cachons nos yeux nos visages
Le passeur à l'abri
enserré dans sa cabine de verre à l'avant gueule !
et file
Sa mécanique écorchée en cavale !
Nul n'arrêtera sa course endiablée contre le vent

À l'arrière mon sang se fige
Recroquevillé, resserré, en courbes de sable
Je me fonds dans le sable froid, il frappe nos peaux noires par rafales
je me fonds dans la nuit pour disparaître dans le noir

et je sens le corps de mon compagnon de route contre le mien, harassé, lové

Au réveil les dunes étaient oranges et brûlantes
Nous avons repris la cavale mécanique infernale
Camion à ciel ouvert
en dévers
La bâche claquait au vent
La bâche claquait
au vent de sable
roulis amer éreintant les yeux aveugles

Soudain ! Un cri un seul sur la route
Un cri unique
Le corps de l'un
un

c'est le petit homme très jeune : il s'est endormi au bord du camion
trop près du vide

Je hurle me retourne
Tous nos corps comme un seul
épuisées serrés entassés gueulent hurlent accusent se tordent
Le camion file
Le chauffeur file
seul dans la cabine
fermé scellée à l'avant
Allure du diable

A terre déjà dans la fumée du sable du vent des échappements du camion
Le corps du petit homme comme une ombre flottante entre les deux trainées de pneus

Rafales de sable froid


SPOKEN WORDS
Texte écrit à partir du récit d'Adjiba 16 ans parti de Côte d'ivoire et arrivé à Paris, en septembre 2017.


POTION
Marie Lorioux

Photo

Regarde mon dos : deux tranchées au couteau de ce rat !

à l'aube du jour
une femme vieille aux pommettes rondes
et yeux de jais :
Recouvre tes plaies avec cette potion !

Sa main
Onction douce
sans ornement
caresse blonde sur ma joue noire
Je déambule depuis
le miel en moi et je n'ai plus peur de rien

J'avance
le pire est derrière moi
Un soir de lune noire nous nous sommes échappés

SPOKEN WORDS
Texte écrit à partir du récit d'Adjiba 16 ans parti de Côte d'ivoire et arrivé à Paris, en septembre 2017.

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