Image Gerd Altmann
HOMO SAPIENS OBSOLESCENTIS
Jean-Louis Dubois-Chabert
Nous progressons à pas lents
Dans cet hiver sans fin,
Nos masques d’arrogance ébranlés de lézardes.
« Nous ne savions pas, pleurons-nous, comment aurions-nous pu ? »
Mais le soufre acide de la pluie qui nous ronge
Se nourrit, vengeur, de ce dérisoire mensonge,
Creusant toujours plus profond le parchemin de nos peaux
En des sillons horribles où s’engloutissent
L’inutile cri de nos larmes
Et le futile de nos regrets.
Dehors est partout, nul abri qui tienne encore ;
Aucun immeuble, aucune maison,
Et pas davantage de saisons.
Conjurant mal le froid, nous avançons sans but sinon marcher sans cesse,
Personne ne sachant plus pourquoi ni où nous allons.
Certains d’entre nous gémissent
Et quiconque se prétendrait capable d’entrevoir un indice sur les causes de cette plainte tomberait pour boniment :
Est-ce leur corps éreinté implorant une trêve,
Le miel perdu du passé qui hante leur remord
Ou une prière psalmodiée maudissant la tourmente
Pour qu’elle desserre enfin l’étau de son étreinte ?
Hier encore nous dansions nus, ivres de nous-mêmes,
Sûrs que rien ne changerait, non, rien ne changerait.
Nous avions tout inventé : dieu, l’amour, l’abstraction, l’ennui et le dow jones.
L’immuable faisait loi et nous jouions les prophètes :
Rien de ce qui avait été ne pourrait ne plus être.
Quand il n’y eut plus un seul arbre pour faire tenir le sol,
Plus aucun hallali, plus une seule pétition
Contre l’oligarchie, le gâchis, l’agonie des lagons,
Quand l’air ponça nos bronches comme du papier de verre,
Quand aucun antidote à l’eau devenue poison n’eut plus aucun effet,
Quand il devint limpide qu’on ne trouverait de sauveur dans aucun valhalla,
Quand il n’y eut plus rien à fabriquer ou possessions à défendre,
Plus de tanks, plus de banques, briques, flics, fric, rien que des cendres
Pour qui un poumon de nanti valait autant qu’un poumon de paria,
Quand, précédés de peu par ceux qui n’avaient rien,
Ceux qui possédaient tout disparurent à leur tour,
S’apercevant trop tard qu’à ne vouloir qu’avoir, ils ne savaient plus rien faire,
Il nous sauta aux yeux qu’à ce train d’enfer fabriqué de nos mains
Nous n’avions prévu ni rails, ni freins, pas même une marche arrière,
Et quand bien même mille fois mille algorithmes se seraient ligués pour renverser cette vapeur délétère, ils auraient tourné en vain.
C’est une colonne exsangue, hagarde et décharnée que nous formons encore.
Les ultimes derniers.
Carnaval émacié de guenilles exténuées
Traînant son sursis sur les restes de rien.
Le brouillard métallique qui nous sert de manteau sait trop bien que bientôt,
Pour peu qu’il soit patient,
Il ensevelira d’oubli sans rancune ni aucune distinction,
Et nos derniers espoirs, et nos peaux et nos vies.
Et nous mettrons le clignotant.
Engloutis par le néant, nos corps se fondront au décor
Et avec eux, nos traces : Mozart, Treblinka, Bhopal…
Le bien, le mal, le Tajmahal, le Grand Capital cannibale.
Les particules d’air, les molécules d’eau, la lumière, enfin libérées de nous, seront d’humeur joyeuse.
Le vent sur le matin, ne retenant plus son souffle, balaiera la souillure de l’hiver qui a été.
Et il rira de bon cœur de cet air enfin pur et frais sans un humain pour le humer.
Dans cet hiver sans fin,
Nos masques d’arrogance ébranlés de lézardes.
« Nous ne savions pas, pleurons-nous, comment aurions-nous pu ? »
Mais le soufre acide de la pluie qui nous ronge
Se nourrit, vengeur, de ce dérisoire mensonge,
Creusant toujours plus profond le parchemin de nos peaux
En des sillons horribles où s’engloutissent
L’inutile cri de nos larmes
Et le futile de nos regrets.
Dehors est partout, nul abri qui tienne encore ;
Aucun immeuble, aucune maison,
Et pas davantage de saisons.
Conjurant mal le froid, nous avançons sans but sinon marcher sans cesse,
Personne ne sachant plus pourquoi ni où nous allons.
Certains d’entre nous gémissent
Et quiconque se prétendrait capable d’entrevoir un indice sur les causes de cette plainte tomberait pour boniment :
Est-ce leur corps éreinté implorant une trêve,
Le miel perdu du passé qui hante leur remord
Ou une prière psalmodiée maudissant la tourmente
Pour qu’elle desserre enfin l’étau de son étreinte ?
Hier encore nous dansions nus, ivres de nous-mêmes,
Sûrs que rien ne changerait, non, rien ne changerait.
Nous avions tout inventé : dieu, l’amour, l’abstraction, l’ennui et le dow jones.
L’immuable faisait loi et nous jouions les prophètes :
Rien de ce qui avait été ne pourrait ne plus être.
Quand il n’y eut plus un seul arbre pour faire tenir le sol,
Plus aucun hallali, plus une seule pétition
Contre l’oligarchie, le gâchis, l’agonie des lagons,
Quand l’air ponça nos bronches comme du papier de verre,
Quand aucun antidote à l’eau devenue poison n’eut plus aucun effet,
Quand il devint limpide qu’on ne trouverait de sauveur dans aucun valhalla,
Quand il n’y eut plus rien à fabriquer ou possessions à défendre,
Plus de tanks, plus de banques, briques, flics, fric, rien que des cendres
Pour qui un poumon de nanti valait autant qu’un poumon de paria,
Quand, précédés de peu par ceux qui n’avaient rien,
Ceux qui possédaient tout disparurent à leur tour,
S’apercevant trop tard qu’à ne vouloir qu’avoir, ils ne savaient plus rien faire,
Il nous sauta aux yeux qu’à ce train d’enfer fabriqué de nos mains
Nous n’avions prévu ni rails, ni freins, pas même une marche arrière,
Et quand bien même mille fois mille algorithmes se seraient ligués pour renverser cette vapeur délétère, ils auraient tourné en vain.
C’est une colonne exsangue, hagarde et décharnée que nous formons encore.
Les ultimes derniers.
Carnaval émacié de guenilles exténuées
Traînant son sursis sur les restes de rien.
Le brouillard métallique qui nous sert de manteau sait trop bien que bientôt,
Pour peu qu’il soit patient,
Il ensevelira d’oubli sans rancune ni aucune distinction,
Et nos derniers espoirs, et nos peaux et nos vies.
Et nous mettrons le clignotant.
Engloutis par le néant, nos corps se fondront au décor
Et avec eux, nos traces : Mozart, Treblinka, Bhopal…
Le bien, le mal, le Tajmahal, le Grand Capital cannibale.
Les particules d’air, les molécules d’eau, la lumière, enfin libérées de nous, seront d’humeur joyeuse.
Le vent sur le matin, ne retenant plus son souffle, balaiera la souillure de l’hiver qui a été.
Et il rira de bon cœur de cet air enfin pur et frais sans un humain pour le humer.