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NE PLUS DORMIR. JAMAIS.
Pierre Cazaux-Ribère

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Ne plus dormir. Jamais. De peur que quelque chose ne se perde dans l'erreur du sommeil ! À cause de je ne sais quelle chimie dans je ne sais quel coin labyrinthique de son cerveau, son esprit avait décidé de ne plus rien céder au sommeil. Angoisse énorme que nul ne pourrait supporter sans broncher : la peur de ne plus se réveiller, de ne plus être rien qui se propage et qui étreint. Et quoi ? La lutte est inégale. Son corps ne parvient plus à la contenir sans l'emphase des tranquillisants. Il n'est plus qu'un lit de fer blanc sur lequel gémir et se cramponner. Les regards de tendresse, les paroles rassurantes, la présence confiante de cet enfant qu'elle a mis au monde, plus rien ne l'éclabousse de lumière.
Et puis un jour, à bout de force, sans qu'elle n'y prenne garde, ses paupières tombent. Plus un frisson, plus un souffle ne pénètrent la citadelle. Noirceur absolue. Ce n'est pas non plus le sommeil. C'est autre chose. Sa conscience demeure, mais dans un ailleurs où son corps a été dissous. Les images, les sons qu'elle perçoit s'engendrent d'eux-mêmes puis, ayant vécu leur vie propre, ils s'en retournent d'où ils viennent. Perceptions comme désincarnées. Pensées à l'extérieur de soi. Des voix n'appartenant

à personne parlent des langues qui n'existent pas. Parfois, un brusque retour à la sensation première de l'existence éveille en elle un sentiment de suspicion.La logique interroge le sens de ces mots inconnus mais cette interrogation devient elle-même une nouvelle langue, de nouveaux mots qui lui imposent des terreurs nouvelles, sans répit.​Ses doigts se crispent. Ses muscles se tendent. Ses yeux se révulsent. Ses dents grincent. Sa peau se marbre de taches semblables à des taches de soleil. Son ventre se vide. Le ventre de son ventre, diraient les indigènes. Les tambours battent en cadence. Dans l'obscurité, dans le grouillement liquide de ses entrailles, se cachent des monstres dont son corps possédé s'acharne à se défaire. Un sorcier invisible trace des signes sur sa langue et au milieu de son front. Son corps s'éparpille. D'autres formes s'assemblent ; veaux-limaces, singes-serpents, grenouilles aux longues canines, tous venimeux, tous en transe dans les profondeurs, l'abîme dont ils se nourrissent. À y regarder de plus près, les monstres eux-mêmes n'existent pas. Un pied dépasse, venant frapper le sol en cadence. Les danseurs trébuchent. Le secret s'échappe. Les masques vont tomber. Son corps va se refermer. Un instant, le lézard se confond à la branche morte. Un instant, les monstres du dehors, les monstres du dedans ne font qu'un. Dans la fête obscure qui s'accomplit, vie et mort ne font qu'un. Du monde des ombres, nous ne sommes que les incarnations. 
Coup de semonce. Au matin, une trêve éphémère est signée mais avec le jour revient la soif torride, une fatigue sans nom et sur son estomac une odeur mauvaise de bitume fondu, d'essence et de folie climatisée. Où étais-je pendant que seule tu essayais de t'arracher des bras moribonds de la nuit ?
[...]
Birla House. Nerhu annonce la mort de Gandhi. Le corps du Mahatma est exposé dans la pénombre. Sans ses lunettes, il a un grand nez. Toute une vie pour préparer la rencontre, j'ai pensé.
Et puis l'orage a éclaté et les images se sont brouillées. En haut, ma fille s'est mise à grogner puis elle s'est tue. Je suis monté quand même et je l'ai regardée dormir. Elle respirait vite et ses cheveux étaient mouillés. Je l'ai découverte un peu. J'ai embrassé sa main et elle a soupiré. Les filles à la vanille, je me suis dit.
Celle qui ne pleure jamais, qui est de l'autre côté, celle qui veille encore à quatre heures du matin dans son jardin secret dévasté, celle qui regarde fixement les murs en soufflant de la fumée, qui cherche partout en elle des raisons de vivre depuis que la mort a barbouillé de noir les paysages et les êtres qu'elle aimait, elle ne te regarde peut-être pas dormir, elle ne te porte peut-être pas dans ses bras, elle garde peut-être pour elle les mots tendres mais elle t'aime de toute la force de ses larmes rentrées. 
Pour toi, elle a accepté sans broncher de porter le fardeau de la douleur malgré l'angoisse de ne pas être à la hauteur. Pour toi, elle a bien voulu continuer de respirer et docilement elle a compté. Jusqu'à dix, cinquante, cent. Si parfois elle appelait à l'aide, c'est encore pour toi qu'elle le faisait. Mais ça n'avançait pas comme ils le voulaient, alors ils ont pris les choses en main. Ils ont eu les gestes qui convenaient, ont sorti des instruments étincelants de leurs boîtes chromées. Ils ont mis des tabliers et du sang sur les tabliers. Elle ne sentait rien, à ce qu'ils ont dit, alors ils l'ont un peu oubliée. Quand ils t'ont déposée sur son ventre, elle devait se tordre le cou pour te regarder et elle avait peur de te laisser tomber. Mon bébé fille aux cheveux roux, ton regard de chatte a pris possession du monde. Le vide en elle s'est-il jamais comblé depuis ? Quant à moi qui n'étais rien, pourquoi a-t-il fallu que je me prenne pour Dieu ?
À l'hôpital, ils devaient avoir un mal de chien à les tenir avec le bordel qu'il faisait dehors, je me suis dit ! Je suis redescendu me servir à boire. J'ai écouté le crépitement de la grêle sur les chaises du jardin. Lorsque j'ai éteint la télé, je me suis rendu compte qu'il n'y avait pas d'autre lumière dans la maison et je suis resté un moment debout, seul dans le noir. Le téléphone n'a pas sonné. Je ne savais plus où aller. J'ai le droit de vivre, j'ai pensé.
[...]
Mal de gorge. Résumé des épisodes précédents. Il se réveille seul, la gueule pâteuse. L'odeur des oignons frits et cette lumière terne qui salit déjà le jour naissant. Il se réveille en maudissant le pacte qu'il est en train de briser. Il maudit ce qu'il va faire et il se maudit lui-même car personne, pas même lui, ne peut comprendre l'amour fou. Pendant que l'une clignait des yeux, demandait un peu de temps, butait inlassablement contre des portes fermées, dévidait ses grossesses imaginaires le long des couloirs glacés, s'éreintait à traîner la langue sur ses lèvres gercées, il se roulait sur le tapis du salon avec une autre qui l'avait ébloui et peut-être sauvé. Oh oui, la chaleur des corps qui se découvrent ! Se reniflent, se lèchent, se déchirent à pleines dents, s'étonnent au matin d'être encore vivants ! Et s'ils pensent à demain, oh pas bien loin, dans quelques heures, quand le jour se lèvera les douleurs au ventre reviendront. Ils se battront comme ils le pourront avec le reste du monde. Ils se sentiront coupables et impuissants et ils cacheront leurs cernes derrière des lunettes sombres et ils seront pâles et arrogants car personne ne peut comprendre l'amour fou. Mais pour l'instant, il sait seulement qu'il va partir. Il sait qu'elle sait qu'il va la quitter.
[...]
Après qu'elle eût passé la douane sans se retourner, je suis allé prendre un café au bar de l'aérogare. Le jour se levait juste et j'étais seul, accoudé contre le zinc à regarder les néons bleus qui inondaient le hall. Dans le journal, je suis tombé sur ce truc sordide d'une mère qui avait tué son enfant. J'ai payé et je suis sorti mais l'air froid ne m’a pas guéri. Je me suis assis sur le capot de la voiture et j'ai allumé une cigarette. Quand le pilote a mis les gaz, un courant d'air chaud m'a traversé. J'ai suivi l'avion des yeux dans le ciel limpide aussi longtemps que je le pouvais et j'ai hurlé en silence. Et puis j'ai roulé jusqu'à la mer.
[...]
Lorsque le bac s'est éloigné de la rive, j'ai eu la désespérante sensation d'une déchirure de plus qui ne se refermerait jamais. Je me suis détourné du large. La flotte s'est remise à tomber dru. C'était un patelin paumé. Pas même un patelin, juste quelques cahutes de pêcheurs aux couleurs passées, posées le long d'un quai qui sentait le poisson, le goudron, et pour tout dire la mort lente. 
En entrant, je n'ai vu que la vaste fenêtre qui occupait tout un mur, à la manière d'une vitrine d'aquarium. La pluie faisait un bruit d'enfer en tombant sur le toit. J'ai enlevé mes vêtements mouillés et je les ai mis à sécher contre le radiateur. Calé devant la mer, j'ai piqué du nez. Lorsque j'ai pris conscience d'avoir dormi, il était quatre heures du matin et j'avais faim. J'ai ouvert la porte du frigo mais dans la lumière trop crue, la blancheur mauvaise de ma main m'a fait regretter l'image de l'aquarium et je l'ai bien vite refermée. Je me suis habillé et puis j'ai roulé.
[...]
Plus loin, dans une autre ville, une fille traverse un pont à vélo. La courbe de ses hanches, les ondulations de l'eau se confondent. Sur l'avenue, elle tourne à droite. La sonnette de son vélo tinte sur les pavés dorés. Elle s'arrête et sort de son sac une boîte de soda et une paille articulée. Maintenant, elle est devant une maison de brique et elle sonne. Sa silhouette se découpe parfaitement dans l'encadrement de la porte d'un blanc parfait. Le soleil au déclin fait scintiller le brillant de son unique boucle d'oreille. Un chat s'éveille et fixe d'un œil morne la poubelle qui déborde au pied de l'escalier de pierre. La fille se balance, impatiente. De l'autre côté de la rue, on l'observe de derrière les rideaux mais elle ne le sait pas. Plus bas, deux lévriers se poursuivent dans la lumière blonde du crépuscule. Leurs reflets fusent sur les eaux calmes du canal qui se perd à l'horizon. J'étais là, immobile au milieu du lit. Au plafond, deux lévriers se poursuivaient pendant que je plongeais dans les eaux sombres du canal.
Gorge sèche, dans le noir complet d'une chambre qu'il ne connaît pas, il se réveille en sursaut, trempé de sueur et cherche avec angoisse le chemin de la salle de bain. Planté devant le miroir, abasourdi par la difficile luminescence du néon, il découvre une image de lui qu'il n'aime pas, un être cru, trop maigre, vaguement pitoyable. Au fond de ses oreilles, le souvenir du cri qu'il a poussé. Au fond de sa mémoire, les bribes floues d'un rêve fou : ça lui revient, ça monte, ça se révèle, une image de femme dans des draps, sa tête inclinée, ses yeux mi-clos, sa poitrine tendue et les poils noirs de ses aisselles. La fille à l'unique brillant est à califourchon sur son ventre. Elle écarte rythmiquement les cuisses. Elle l'embrasse avec la langue. Quand elle plonge ses yeux dans les siens en penchant la tête, son regard le crucifie ; ça le transperce, ce hurlement qui, déchirant son rêve, lui dérobe la raison de cette douleur soudaine !
Au lieu de quoi, quand il avait fini par émerger pour de bon : je me suis réveillé à six heures du matin. À travers les rideaux mal tirés, le soleil m'a fait son cinéma. J'ai étendu doucement les bras et je l'ai trouvée là, douce et chaude et endormie ! Je l'ai un peu caressée mais elle a soupiré dans son sommeil et je me suis levé sans faire de bruit. Sur le miroir de la salle de bain, la trace de ses lèvres pourpres sur lesquelles j'ai déposé un baiser. Il n'y a pas de paradis, je me suis dit. C'était une pensée dérisoire, alors j'ai cessé de fuir.
[...]
On n'oublie pas comme ça, du jour au lendemain, la sensation de danger et le vertige que l'approche de l'amour vous impose. On ne s'abandonne pas comme ça à la séduction du présent quand on s'est forgé une carapace de dur et de désabusé pour ne pas succomber aux démons du remords. Le matin, se regarder dans le blanc des yeux, se tirer la langue et douter de soi. Comment s'en dépêtrer ?
Je me suis garé et j'ai levé les yeux vers sa fenêtre. J'ai grimpé les escaliers sans encombre, sauf un mégot en équilibre sur le bord d'une marche au premier étage. J'ai tourné et retourné la clé dans ma tête mais pour la première fois la serrure s'est laissée faire. Il faisait sombre, presque nuit, jusqu'à ce que je retire mes lunettes. J'ai reniflé voir si ça sentait elle, j'ai laissé mes chaussures dans l'entrée et j'ai fait du café. Lorsqu'elle est arrivée, j'ai caressé son dos mais elle a crié parce que j'avais les mains froides. On s'est un peu battu en riant, on s'est encore raconté le passé et pendant qu'elle parlait, mère-jalousie a gravé ses initiales sur le manche de mon couteau ; pour elle, tu pourrais tuer. 
Tu te connais bien mal, mon gars ! Tu te racontes qu'on peut facilement changer de vie mais y es-tu prêt ? C'est un faussaire qui parle, un malin sans expérience. Tu grimpes, tu grimpes au-dessus de la laideur du monde mais un escalier vertigineux te ramène toujours vers le bas. Et d'en bas, lorsque tu la regardes un soir comme celui-là, tu n'es plus qu'un gosse désarmé ! Viens, maintenant, si tu es un homme, plonge au fond de ton cœur ! Au lieu de quoi tu l'écoutes sans bouger te dire ce que tu sais déjà : qu'il est dur de larguer les amarres, qu'il est difficile d'être soi-même. Des fantômes impossibles à chasser rôdent sur les quais de ta mémoire.
[...]
Jours avec et jours sans. Le vent s'est levé cette nuit. Les hirondelles se jettent comme des bombes dans les tourbillons, plongent en piquet et redressent leur vol à l'abri des maisons. Fenêtre sud, quelques nuages rosés qui filochent. Fenêtre nord, le noir qui monte et ce morceau de béton en équilibre au-dessus de nos têtes. 
C'est terrible que tu dormes un soir comme celui-là, me laissant seul me battre avec des ombres. Foutues nuits, toujours les mêmes ! Elles sont comme des chambres froides au fond desquelles on grelotte, dont on ne peut sortir qu'en recherchant l'oubli de qui l'on est au fond des verres. Ça me donne l'envie d'en finir, là, maintenant, de me finir à coup de bouteille comme dans ces films où des mecs des quartiers moches, des faux-culs qui se traitent de pédale sèment le tumulte et la mort, se boxent devant leurs blondes pour masquer leurs faiblesses. Te secouer pour que tu me regardes me battre ! Ton regard de reine, tout le monde banderait pour ce regard-là ! Mais tu dors, la tête posée sur mes genoux, et je n'ose pas bouger. J'observe du coin de l'œil la petite étoile de Miró, incertaine, que la nuit a froissée sur le haut de ta cuisse. Je pose juste sur toi un regard de lézard, immobile et ébloui.
De l'autre côté du mur, une petite fille endormie, ses jouets à mi-temps répandus sur la moquette et qui sait ce qu'elle va devenir et ce que je serai dans sa vie.
Le film ? En réalité une histoire d'ange la main sur le cœur qui te couche dans ses plumes. Ses ailes blanches qu'on ne voit pas mais qui protègent ton sommeil. Des minutes. Des heures. La pluie qui ruisselle. Nostalgie de bazar. Dommage, tu rates ta chanson préférée. Couchée tout contre moi tu frissonnes. J'ai tiré sur toi l'édredon mais ce soir je ne peux pas te réchauffer. Je n'ai ni la transparence ni la vacuité des anges. Le désordre comme une malédiction. Je te perdrai peut-être un jour et c'est terrible, ce sentiment de sursis qui pèse sur moi, et lorsque tu dors, et lorsque tu boudes, et lorsque tu affrontes tes propres souvenirs ! Mais quelque chose est arrivé. Quelque chose arrive. Et peu importe ce qui arrivera. La pluie. Le silence. La caresse de ton souffle sur ma main.
[...]
Il y eut un bruissement de vie emplissant l'univers cotonneux. C'était une note puissante et lumineuse, mais sans excès, sans fanfare. Quelque chose comme le son d'un mouvement très lointain, un long frisson de matière frottant dans l'air. Je ne pourrais dire quand et où cela avait commencé, s'était séparé du néant. Il y avait eu ce glissement imperceptible de l'air entre les lèvres qui, maintenant, s'animaient, se déplissaient doucement au contact de la langue. Des joues avaient pris place. Un nez. Des paupières qui se soulevaient. Tout un visage parcouru d'expressions et plus bas, un cou, des épaules, une poitrine, un ventre, des jambes qui fourmillaient sous les couvertures, tout un corps animal qui s'extirpait du long sommeil, se re-concevait, engourdi et malhabile. Le vide se remplissait de sons : rires, musique, mais aussi coups de gueule... Quelque chose en cet instant était sans doute perdu à jamais car plus rien n'était simple, ni univoque, ni en paix. Des élancements venus du noir profond faisaient encore souffrir mais le jour qui s'imprimait était auréolé de contours luminescents qui animaient le monde d'un charme violent et diffus. Et cela sortait, cela bouillonnait, ayant passé le seuil de la longue nuit, ayant surgi, comme moi qui marchais vêtu de propre entre les arbres de l'avenue, haletant, pressé, incertain mais puissant.
[...]
Ils avaient annoncé une pluie d'étoiles filantes. Les enfants du quartier n'avaient pas sommeil. Leurs rires résonnaient au milieu du bavardage lointain des téléviseurs. Entre les immeubles, le soleil sur le déclin nous éblouissait et on a promené la table du pique-nique un moment pour lui échapper mais on a fini par l'oublier.
J'avais le trac. C'était comme d'entrer à nouveau dans le monde. Son monde à elle, ses amis, ceux qu'elle aimait. Pour moi, je ne savais pas encore. Je m'étais lavé les dents et j'avais acheté un nouveau froc et j'étais moi-même et même si ça n'arrive pas tous les jours, j'ai nagé en paix sous les étoiles qui filaient mais personne n'a levé les yeux au ciel et on s'est resservi à boire et quelqu'un a dit : mais quelle est cette douleur dans ma tête et à qui sont ces vêtements ? Et quelqu'un a retiré ses lunettes et j'ai vu qu'il avait le regard sombre et on a sauté du coq à l'âne, de la Quatrième République au tropique du Capricorne et l'un prétendait que seul ton doigt pouvait mélanger son cocktail et l'autre, j'ai tout de suite aimé son sourire et sa présence entière et j'étais extra-lucide même si je picolais trop et tu as passé tes jambes par-dessus les miennes et j'ai eu envie de toi et j'ai eu mal et envie de me battre parce que quelqu'un nous regardait et qu'à sa place j'aurais eu mal et envie de me battre mais il ne voulait pas qu'on se prenne la tête avec ça ce soir et j'ai pensé que ça n'aurait eu aucun sens de dire le contraire mais qu'est-ce que tu crois, je me suis dit ? Un amant ne chasse pas l'autre ! Garde pour toi ta pitié féroce ! Et quelqu'un d'autre a dit hou les amoureux et j'ai pensé oui, amour, mais je n'ai rien dit et j'ai fermé les yeux et les oreilles et les volets et tout le reste et quand tu as pris ma nuque dans tes mains j'ai revu très vite certains moments de ma vie et je me suis senti loin de tout, heureux et malheureux à la fois, mais ça n'a pas duré et le lendemain, toi et moi on a roulé.
[...]
J'aime l'autoroute lorsque tu croises les jambes. J'aime le sud parce que j'y suis né. J'aime la lumière qui te fait plisser les yeux. J'aime la chaleur parce qu'elle te déshabille. J'aime Barcelone réinventée avec toi et la révolution espagnole qui ressemble à tes passions de justice et de fraternité. J'aime l'hôtel Alhambra parce qu'il a le confort moderne. J'aime l'empreinte de tes pieds mouillés sur le carrelage au sortir de la douche, tes fringues qui sèchent au bord du lavabo. J'aime la moiteur de la ville parce qu'elle donne à notre sommeil un goût de fièvre et qu'elle met la mer entre nos ventres qui se touchent. J'aime les quartiers déserts à deux heures de l'après-midi, lorsque tu te penches vers moi pour m'embrasser. J'aime le rhum Baccardi et la fureur grasse des tavernes. J'aime les enfants des rues qui me rappellent celui que je ne suis plus. J'aime la poussière et le bruit, la sueur, les jardins secs, les eaux fortes du port. J'aime le sud, les jours avec toi, tournés vers le sud.
[...]
L'amour est égoïste.

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