Puisque vous lisez cette lettre, vous avez ouvert le coffret. Un flacon devait s'y trouver. Sans nul doute, un des objets que j'ai le plus choyé dans ma vie. Comprenez à quel point il a compté pour moi, et comme j'avais envie de vous le faire parvenir. Dans la joie ou la tristesse, été comme hiver, bonne ou mauvaise année, je n'ai eu de cesse que de le remplir. Un jour, j'ai eu l'idée de cette collection, tellement plus précieuse que mes cendres ! Les cendres, dispersez-les au pied des arbres, ce qui me sera infiniment plus doux que de moisir dans n'importe quelle tombe. Ce sera mon vibrant hommage : j'ai tant aimé les arbres tout au long de ma vie... Une collection donc... Mais de quoi ? Avec les yeux tout mouillés encore de m'avoir dit au revoir, vous vous interrogez sur ce fameux flacon : - C'est bien ça... C'est tout lui... Fantasque jusqu'au bout ! - C'est vrai. - Qu'a-t-il inventé encore ? - Bien vu. Cela n'existait pas avant moi et il y a peu de chance que d'autres que vous héritent d'une telle chose. Oui, j'en conviens. Et pourtant, j'ai beaucoup aimé l'idée de vous transmettre cela, cette petite fiole transparente, obturée par un délicat bouchon de liège. J'ai collecté avec patience, et surtout avec amour, chaque goutte de ce précieux liquide. Si vous le faites analyser vous trouverez sans aucun doute sa composition. C'est de l'eau. De l'eau salée. Lorsque l'eau se sera évaporée, il ne restera que le sel. Et c'est le plus important. Ce sont mes larmes. De joie, de tristesse aussi, car l'une ne va pas sans l'autre... Sachez que ce petit objet de verre ne m'a pas quitté. Il a recueilli chacun de mes bonheurs fugaces et chacun de mes chagrins. Ils cheminent ensemble, ils nous façonnent de la même façon. J'avais la larme facile... La couleur de la feuille d'érable en automne, la douceur des coussinets du chat, le potelé de la main de l'enfant. L'odeur du café frais du matin, celle du pain qui finit de cuire. Le mot doux d'un ami, son clin d'œil, le temps de disparaître... Le goût du bon vin qu'on partage, la sérénade du temps qui passe, un vol d'hirondelles gracieuses. Des mains qui se tendent, des bras qui se referment. Un cœur qui bat. En mortels élégants, je vous souhaite d'être aussi joyeusement éphémères que je le fus. Puisqu'il faut bien vivre, vivez aussi bien que possible. Souvenez-vous des histoires partagées. Car c'est ainsi que je vous aime. Et bon sang, que je vous ai aimés... ».