Minette qui pousse n'amasse pas mousse Théo Martinaud
Une jolie jeune femme en tailleur caresse un chat endormi entre ses jambes. En dessous, le nom d’un salon d’épilation. Dans la rue d’une ville.
Dans le fracas des messages imposés quotidiennement à mes globes oculaires, cette publicité de rue m’a fait sourire. D’abord, l’amusement, la transgression et le bon mot. La différence entre le signifié et le signifiant et tout ce que l’onanisme linguistique et critique offre face au totalitarisme marchand. C’était drôle, malgré la conscience de la manipulation.
Chaque matin, dans la même rue, encore et encore, je passais devant cette publicité pour me rendre au travail. Ayant déjà approché quelques individus travaillant dans le marketing, je ne peux m’empêcher de faire la rétrospective de leur démarche. Décalé, drôle, un brin provocateur, mais toujours en allant chercher une faille, une faiblesse, juste un détail épais comme un cheveu qui tombe sur la soupe commerciale qu’on ne voit plus. Voilà, le tour est joué, je l’ai vu parmi les cinquante autres publicités qui croisent mon regard sur un seul trajet. Cependant qu’est-ce que ce rire dit de moi et, par extension, dit de ceux qui passent avec un léger sourire aux coins des lèvres.
Nous pourrions critiquer cette nouvelle idéologie des corps lisses et élancés, sans accrocs, sans cicatrices, sans impuretés. Voilà le mot à bannir : l’impureté, du biactol à la cire brûlante, de l’épilation laser aux pubis customisés ressemblant à un ticket. La représentation de la puissance des corps dans leur éternelle jeunesse, une façon de balancer à la gueule des passants : le monde que nous vendons, vous ne le méritez pas, vous ne méritez pas les corps qu’on vous présente, vous ne méritez pas votre corporéité.
Le scandale, c’est les poils, surtout chez les femmes, ces individus relégués quotidiennement au rang d’objet, le plus souvent sexuel. Le sexe épilé comme une gamine de 8 ans et cette belle mine épanouie en gros plan. Il suffit de s’arrêter plus de 30 secondes devant une telle image pour comprendre que leurs sourires relèvent plus de la pathologie que de l’émotion. Et malgré la désapprobation consciente, subsiste le message. Rabâché, répété, voire chuchoté continuellement et rangé dans les fonds de tiroir de l’esprit, le poil relève de l’obsession. Il rappelle l’animal qui sommeille et il est hérissé sous les aisselles comme un trophée, un gage de libération du diktat publicitaire.
Qu’on ne s’y trompe pas, derrière ces corps, des histoires s’entremêlent. Il y a celle d’un fantasme, largement masculin qui, derrière le culte de la pureté, affirme l’inavouable : posséder des corps jeunes et purs. Ici, des femmes-enfants dont l’épaisseur de la pilosité donnera le « la » de leur désirabilité. Femme, soit une fille prépubère ou personne ne voudra de toi. De la part d’une société qui vend le modèle de la parentalité comme une réussite, il y a de quoi sourire. Autant de cynisme en une seule image…
L’histoire la plus passionnante derrière ces poils à raser est sans doute celle de la vertu, la chasteté, bref, la virginité qu’elle appelle. Et c’est là que je me suis rendu compte de mon erreur.
Cette publicité n’est pas transgressive au regard d’un temps long. Elle serait même réactionnaire, une injonction, voilà notre retour du refoulé, le soulèvement brusque de l’héritage catholique : « Femme, retrouve ta vertu en te rasant le mont velu ». Il n’y a plus de fond dans la forme des corps, plus de récits, plus d’histoires ou de mythes, seulement des injonctions. Des ordres déguisés en conseils… voici comment l’imaginaire abject des inquisiteurs réapparaît, auréolé d’un nouveau fond de teint commercial. Dès lors, la tonsure n’est-elle pas l’épaisseur de l’esprit ?
On m’a dit que le poil était un sujet drôle. Sans doute qu’il impose une gêne, Un silence que le rire rompt. Qu’il soit drôle en soi c’est ainsi, Toutefois, Faudrait-il savoir de quoi on rit. Est-ce ce fil ténu qui nous relie Dans notre broussaille héritée ? Est-ce un rire forcé qu’on délie Dans le biactol de la pensée ?