EXIL SOUS LEXOMIL
Jean-Louis Dubois-Chabert
Faute de place dans le bus qui nous servait habituellement de salle de réunion, cette année l’assemblée générale de l’Amicale Voyageuse des Exilés Célèbres aurait exceptionnellement lieu sur un bateau. En tant que secrétaire de l’association, moi, Pablo Neruda, j’en avais informé chacun des membres sous la forme d’un de ces petits poèmes qui me valaient autant de sympathie des uns que de railleries des autres :
Oiseau d’exil
Ulysse piaffe, il est temps.
Appareillons !
L’horizon nous hèle et l’automne marin
Où déjà le gel s’avance
Appelle notre unisson.
Assemblée en partance le 1er décembre sans destination connue. Nous embarquerons du port de Valparaíso, ma ville chérie, au crépuscule. Vous savez en effet qu’à l’ordre du jour, je préfère le désordre de la nuit.
Toutefois, sachez qu’il nous faudra renouveler l’air du bureau et faire face à un raz de marée inattendu de nouveaux prétendants.
Poétiques amitiés,
Pablo Neruda,
Secrétaire de l’AVEC
Le jour de l’assemblée générale arriva. Pendant qu’Ulysse opérait de savants calculs destinés à fixer notre cap de départ tout en maudissant les dieux de ne pas avoir inventé le sextant du temps de son héroïque Odyssée, j’avais hérité, en ma qualité de secrétaire, d’une tâche beaucoup plus prosaïque : faire l’appel des nombreux participants rassemblés sur l’embarcadère.
Il faut dire que quelques semaines avant l’assemblée générale, l’Amicale avait reçu une massive demande d’adhésions émanant d’exilés d’un genre nouveau : les exilés fiscaux français. Un jour, j’avais écrit : « Si nous parcourons tous les escaliers de Valparaíso, nous aurons fait le tour du monde. » Aujourd’hui, le gotha du grand monde en descendait les marches jusqu’au port dans le but d’intégrer notre petite association.
N’étant soumise à aucun impératif moral — sans quoi ces redoutables fils de pute nazis Klaus Barbie, Alois Brunner, Adolf Eichmann et autres Erich Priebke n’auraient pu y prétendre — l’adhésion à l’Amicale Voyageuse des Exilés Célèbres relevait de deux seuls critères combinés :
1. Vivre ou avoir vécu en exil volontaire ou forcé ;
2. Jouir d’une notoriété publique historique ou contemporaine.
La demande des exilés fiscaux était donc légitime.
Face à leur grouillante meute dont je n’osais imaginer le prix cumulé des fringues, des pompes et des Rolex, je me lançai dans le fastidieux exercice de l’appel en regroupant les truands du fisc par grands secteurs d’activités : le groupe des sportifs, essentiellement constitué de tennismen nourrissant une passion notoire pour la Suisse ; les artistes, dispatchés dans divers pays riches du monde ; les gros patrons, dont la plupart étaient tombés sous le charme de la Belgique.
J’appelai d’abord les sportifs par ordre alphabétique : Jean Alési, Marion Bartoli, Julien Benneteau, Arnaud Boetsch, Éric Cantona, Arnaud Clément, Nicolas Escudé, Guy Forget, Richard Gasquet, Jean-Philippe Gatien, Jean-Claude Killy, Henri Leconte, Sébastien Loeb, Paul-Henri Mathieu, Amélie Mauresmo, Gaël Monfils, Christophe Moreau, Stéphane Peterhansel, Cédric Pioline, Alain Prost, Vincent Rives, Fabrice Santoro, Florent Serra, Gilles Simon, Jo-Wilfried Tsonga. Tous présents. Pas un ne manquait à l’appel.
Je passai ensuite aux artistes : Daniel Auteuil, Charles Aznavour, Emmanuelle Béart, Booba, Laetitia Casta, Alain Delon, Gérard Depardieu, David Habibi, Johnny Hallyday, David Hallyday, Michel Houellebecq, Christian Jacq, Patricia Kaas, Florent Pagny, Michel Polnareff, Marie Laforêt, Marc Lévy, Yannick Noah et Renaud. Tous là aussi. Même ce vieux mégot de Johnny qui, d’avoir trop fumé, ne saurait tarder à s’éteindre.
Je terminai par les patrons : les familles Bich (du Groupe Bic), Mulliez (Auchan, Décathlon, Mondial Moquette, Norauto, Kiabi), Ducros (des herbes de Provence), Louis-Dreyfus (l’Olympique de Marseille), Peugeot (du Groupe PSA) et Taittinger (des Champagne du même nom). Bernard Arnault, Jacques Badin (Carrefour), Michèle Bleustein-Blanchet (Publicis), Corinne Bouygues, Bernard Darty, Jean-Louis David, Patrick Drahi (Numéricâble, SFR, Libé, L’Express), Paul Dubrule (du Groupe Accor et ancien sénateur-maire de Fontainebleau), Alain Ducasse, le cuistot, Éric Guerlain (de Christian Dior), Daniel Hechter, Philippe Hersant, l’ex-président d’Elf, Philippe Jaffré ; l’ex-PDG de Vinci, Antoine Zacharias, et enfin Roger Zannier (Kookaï, Z, Kenzo, Oxbow, Chipie et Absorba), Benjamin de Rotschild et Michel Lacoste, celui des polos à croco.
Pour leur manque de notoriété auprès du grand public, je fus en revanche contraint d’éconduire les demandes de Thomas Bata (des chaussures éponymes), Jean Baud (Franprix et Leader Price), Lotfi Belhassine (Air Liberté), Claude Berda (AB Groupe), Pierre Castel (Cristalline, Thonon, Vichy Célestins, 33 export, Saint-Yorre), Georges Cohen (du groupe d’informatique et armement Sogeti), Paul-Georges Despature (Damart et Somfy), Pierre-François Grimaldi (iBazar), Jean-Claude Mimram (Compagnie sucrière sénégalaise), Alexandra Pereyre de Nonancourt et sa famille (Champagne Laurent-Perrier), Denis Payre (Business Objects), Jean Pigozzi, l’héritier de Simca, Michel Reybier (ex-PDG de Justin Bridou, Cochonou, Aoste), Jacques Tajan (ancien premier commissaire-priseur de France), et des familles Defforey (fondatrice de Carrefour), Wertheimer (Chanel), Primat (Schlumberger Limited), Lescure (Seb, Tefal, Rowenta, Krups, Moulinex, Calor), Zorbibe (Lancel), Lejeune (SEITA) et Harari (laboratoire Negma), ainsi que Nicolas Puech (Hermès), Philippe Jabre (Jabre Capital Partners), Denis Dumont (Grand Frais), Nicole Bru-Magniez (Laboratoire UPSA), Alain Duménil (Acanthe Développement), Bruno Moineville (Réseaux câblés de France), Hugues de Montfalcon de Flaxieu (Maxiris), Christian Picart (Buffalo Grill), Thierry Roussel (Carat Group, SGFC, Onassis), Maurice et David Giraud (Pierre et Vacances), Jérôme De Witt (Horlogerie De Witt) et Dominique Frémont (Mauboussin).
Furax, les recalés n’en restèrent pas moins à quai ; sans respect des statuts, point de salut. Certains d’entre eux tentèrent bien de graisser la patte des membres du bureau mais pas plus le président, Charlie Chaplin, que notre trésorier, le Dalaï Lama ou moi-même ne cédèrent à leur obscène tentative de corruption.
Oiseau d’exil
Ulysse piaffe, il est temps.
Appareillons !
L’horizon nous hèle et l’automne marin
Où déjà le gel s’avance
Appelle notre unisson.
Assemblée en partance le 1er décembre sans destination connue. Nous embarquerons du port de Valparaíso, ma ville chérie, au crépuscule. Vous savez en effet qu’à l’ordre du jour, je préfère le désordre de la nuit.
Toutefois, sachez qu’il nous faudra renouveler l’air du bureau et faire face à un raz de marée inattendu de nouveaux prétendants.
Poétiques amitiés,
Pablo Neruda,
Secrétaire de l’AVEC
Le jour de l’assemblée générale arriva. Pendant qu’Ulysse opérait de savants calculs destinés à fixer notre cap de départ tout en maudissant les dieux de ne pas avoir inventé le sextant du temps de son héroïque Odyssée, j’avais hérité, en ma qualité de secrétaire, d’une tâche beaucoup plus prosaïque : faire l’appel des nombreux participants rassemblés sur l’embarcadère.
Il faut dire que quelques semaines avant l’assemblée générale, l’Amicale avait reçu une massive demande d’adhésions émanant d’exilés d’un genre nouveau : les exilés fiscaux français. Un jour, j’avais écrit : « Si nous parcourons tous les escaliers de Valparaíso, nous aurons fait le tour du monde. » Aujourd’hui, le gotha du grand monde en descendait les marches jusqu’au port dans le but d’intégrer notre petite association.
N’étant soumise à aucun impératif moral — sans quoi ces redoutables fils de pute nazis Klaus Barbie, Alois Brunner, Adolf Eichmann et autres Erich Priebke n’auraient pu y prétendre — l’adhésion à l’Amicale Voyageuse des Exilés Célèbres relevait de deux seuls critères combinés :
1. Vivre ou avoir vécu en exil volontaire ou forcé ;
2. Jouir d’une notoriété publique historique ou contemporaine.
La demande des exilés fiscaux était donc légitime.
Face à leur grouillante meute dont je n’osais imaginer le prix cumulé des fringues, des pompes et des Rolex, je me lançai dans le fastidieux exercice de l’appel en regroupant les truands du fisc par grands secteurs d’activités : le groupe des sportifs, essentiellement constitué de tennismen nourrissant une passion notoire pour la Suisse ; les artistes, dispatchés dans divers pays riches du monde ; les gros patrons, dont la plupart étaient tombés sous le charme de la Belgique.
J’appelai d’abord les sportifs par ordre alphabétique : Jean Alési, Marion Bartoli, Julien Benneteau, Arnaud Boetsch, Éric Cantona, Arnaud Clément, Nicolas Escudé, Guy Forget, Richard Gasquet, Jean-Philippe Gatien, Jean-Claude Killy, Henri Leconte, Sébastien Loeb, Paul-Henri Mathieu, Amélie Mauresmo, Gaël Monfils, Christophe Moreau, Stéphane Peterhansel, Cédric Pioline, Alain Prost, Vincent Rives, Fabrice Santoro, Florent Serra, Gilles Simon, Jo-Wilfried Tsonga. Tous présents. Pas un ne manquait à l’appel.
Je passai ensuite aux artistes : Daniel Auteuil, Charles Aznavour, Emmanuelle Béart, Booba, Laetitia Casta, Alain Delon, Gérard Depardieu, David Habibi, Johnny Hallyday, David Hallyday, Michel Houellebecq, Christian Jacq, Patricia Kaas, Florent Pagny, Michel Polnareff, Marie Laforêt, Marc Lévy, Yannick Noah et Renaud. Tous là aussi. Même ce vieux mégot de Johnny qui, d’avoir trop fumé, ne saurait tarder à s’éteindre.
Je terminai par les patrons : les familles Bich (du Groupe Bic), Mulliez (Auchan, Décathlon, Mondial Moquette, Norauto, Kiabi), Ducros (des herbes de Provence), Louis-Dreyfus (l’Olympique de Marseille), Peugeot (du Groupe PSA) et Taittinger (des Champagne du même nom). Bernard Arnault, Jacques Badin (Carrefour), Michèle Bleustein-Blanchet (Publicis), Corinne Bouygues, Bernard Darty, Jean-Louis David, Patrick Drahi (Numéricâble, SFR, Libé, L’Express), Paul Dubrule (du Groupe Accor et ancien sénateur-maire de Fontainebleau), Alain Ducasse, le cuistot, Éric Guerlain (de Christian Dior), Daniel Hechter, Philippe Hersant, l’ex-président d’Elf, Philippe Jaffré ; l’ex-PDG de Vinci, Antoine Zacharias, et enfin Roger Zannier (Kookaï, Z, Kenzo, Oxbow, Chipie et Absorba), Benjamin de Rotschild et Michel Lacoste, celui des polos à croco.
Pour leur manque de notoriété auprès du grand public, je fus en revanche contraint d’éconduire les demandes de Thomas Bata (des chaussures éponymes), Jean Baud (Franprix et Leader Price), Lotfi Belhassine (Air Liberté), Claude Berda (AB Groupe), Pierre Castel (Cristalline, Thonon, Vichy Célestins, 33 export, Saint-Yorre), Georges Cohen (du groupe d’informatique et armement Sogeti), Paul-Georges Despature (Damart et Somfy), Pierre-François Grimaldi (iBazar), Jean-Claude Mimram (Compagnie sucrière sénégalaise), Alexandra Pereyre de Nonancourt et sa famille (Champagne Laurent-Perrier), Denis Payre (Business Objects), Jean Pigozzi, l’héritier de Simca, Michel Reybier (ex-PDG de Justin Bridou, Cochonou, Aoste), Jacques Tajan (ancien premier commissaire-priseur de France), et des familles Defforey (fondatrice de Carrefour), Wertheimer (Chanel), Primat (Schlumberger Limited), Lescure (Seb, Tefal, Rowenta, Krups, Moulinex, Calor), Zorbibe (Lancel), Lejeune (SEITA) et Harari (laboratoire Negma), ainsi que Nicolas Puech (Hermès), Philippe Jabre (Jabre Capital Partners), Denis Dumont (Grand Frais), Nicole Bru-Magniez (Laboratoire UPSA), Alain Duménil (Acanthe Développement), Bruno Moineville (Réseaux câblés de France), Hugues de Montfalcon de Flaxieu (Maxiris), Christian Picart (Buffalo Grill), Thierry Roussel (Carat Group, SGFC, Onassis), Maurice et David Giraud (Pierre et Vacances), Jérôme De Witt (Horlogerie De Witt) et Dominique Frémont (Mauboussin).
Furax, les recalés n’en restèrent pas moins à quai ; sans respect des statuts, point de salut. Certains d’entre eux tentèrent bien de graisser la patte des membres du bureau mais pas plus le président, Charlie Chaplin, que notre trésorier, le Dalaï Lama ou moi-même ne cédèrent à leur obscène tentative de corruption.
TROTSKI TUE LE SKI
Tout faillit dégénérer lorsque Léon Trotski, plus rouge qu’un bolchevik au court-bouillon, penché audessus du bastingage au risque de passer à l’eau, leur promit le goulag s’ils ne déguerpissaient pas sur-le-champ. À l’énoncé du mot « goulag » — pour lequel il nourrissait une légitime aversion —, Alexandre Soljenitsyne sortit de sa cabine et de ses gonds. Il sauta à la gorge de son révolutionnaire compatriote.
En retrait, Daniel Auteuil observait la scène en compagnie de Gérard Depardieu. Il crut malin de lancer à Jean-Claude Killy : « Attention Jean-Claude, Trotski tue le ski ! », ce qui eut le don de passablement agacer le bouillonnant Léon, bien décidé à redresser le portrait d’Ugolin.
Rudolf Noureev, qui passait par là, prit une danse. Alexandre Pouchkine et Fiodor Dostoïevski exigèrent des excuses à Auteuil au nom du respect de l’âme russe et de la nature humaine. Drapé de dignité outrée, Émile Zola vociféra quant à lui depuis le pont supérieur :
— J’accuse les riches patrons d’être responsables de tout ce désordre.
Il n’en fallut pas davantage à Michel Houellebecq pour s’en mêler :
— Zola, vous n’êtes que démagogie et pleutrerie, asséna l’auteur de Exil sous Lexomil, son dernier ouvrage dans lequel il racontait les dix dernières molles années de son existence passées à échapper à une fatwa lancée en représailles à ses attaques en règle contre les musulmans. Vous donnez des leçons à tout le monde mais nul n’ignore votre vraie nature : vous avez préféré fuir votre fameuse patrie et la classe ouvrière que vous dites défendre, plutôt que d’affronter vos juges !
Vexé de se retrouver dans la position de l’accusateur accusé, Zola chercha à se justifier d’un exil peu héroïque :
— Ah ! vous, Houellebecq, fermez votre clapet à merde. Je vous accuse d’ignorance. Sachez que je ne suis pas le seul écrivain à avoir quitté la France la pétoche au ventre. L’Histoire m’en est témoin, n’est-ce pas Victor Hugo ?
Le sang d’Hugo ne fit qu’un tour et le grand Victor joignit le geste à la menace :
— Et mon poing dans ta gueule, tu le veux, Zola ?
Zola, qui accusait tout, tout le monde, tout le temps, accusa le coup. Mais, se relevant bientôt, il clama de plus belle :
— J’accuse Monsieur Houellebecq de n’avoir pas rejoint l’Irlande puis l’Espagne pour se protéger des islamistes illuminés comme il le prétend mais bien pour de viles raisons fiscales.
Désertant soudain son tapis de prière, Mahomet surgit tout fumasse :
— Nardinamouk, Houellebecq, va chier à La Mecque, j’y suis pour walou dans tes problèmes !
— Et dans les miens non plus ? gueula Taslima Nasreen. Tes fanatiques me pourchassent depuis plus de dix ans. Tout ça parce que j’ai incité les femmes à brûler leurs burqas.
— Nikoumouk, la moukère ! J’ai jamais parlé de dress code, moi ! Le coran, c’est pas les Trois-Suisses, merde !
— Eh ben parles-en à tes adeptes, ils arrêteront peut-être de nous taper sur le loukoum, à Salman Rushdie et à moi.
Aznavour, Prost et Hallyday le prirent mal.
— Euh… dis-donc, Mahomet, quand tu dis « les trois Suisses », c’est à nous que tu t’exprimes ? demanda Johnny.
Tout faillit dégénérer lorsque Léon Trotski, plus rouge qu’un bolchevik au court-bouillon, penché audessus du bastingage au risque de passer à l’eau, leur promit le goulag s’ils ne déguerpissaient pas sur-le-champ. À l’énoncé du mot « goulag » — pour lequel il nourrissait une légitime aversion —, Alexandre Soljenitsyne sortit de sa cabine et de ses gonds. Il sauta à la gorge de son révolutionnaire compatriote.
En retrait, Daniel Auteuil observait la scène en compagnie de Gérard Depardieu. Il crut malin de lancer à Jean-Claude Killy : « Attention Jean-Claude, Trotski tue le ski ! », ce qui eut le don de passablement agacer le bouillonnant Léon, bien décidé à redresser le portrait d’Ugolin.
Rudolf Noureev, qui passait par là, prit une danse. Alexandre Pouchkine et Fiodor Dostoïevski exigèrent des excuses à Auteuil au nom du respect de l’âme russe et de la nature humaine. Drapé de dignité outrée, Émile Zola vociféra quant à lui depuis le pont supérieur :
— J’accuse les riches patrons d’être responsables de tout ce désordre.
Il n’en fallut pas davantage à Michel Houellebecq pour s’en mêler :
— Zola, vous n’êtes que démagogie et pleutrerie, asséna l’auteur de Exil sous Lexomil, son dernier ouvrage dans lequel il racontait les dix dernières molles années de son existence passées à échapper à une fatwa lancée en représailles à ses attaques en règle contre les musulmans. Vous donnez des leçons à tout le monde mais nul n’ignore votre vraie nature : vous avez préféré fuir votre fameuse patrie et la classe ouvrière que vous dites défendre, plutôt que d’affronter vos juges !
Vexé de se retrouver dans la position de l’accusateur accusé, Zola chercha à se justifier d’un exil peu héroïque :
— Ah ! vous, Houellebecq, fermez votre clapet à merde. Je vous accuse d’ignorance. Sachez que je ne suis pas le seul écrivain à avoir quitté la France la pétoche au ventre. L’Histoire m’en est témoin, n’est-ce pas Victor Hugo ?
Le sang d’Hugo ne fit qu’un tour et le grand Victor joignit le geste à la menace :
— Et mon poing dans ta gueule, tu le veux, Zola ?
Zola, qui accusait tout, tout le monde, tout le temps, accusa le coup. Mais, se relevant bientôt, il clama de plus belle :
— J’accuse Monsieur Houellebecq de n’avoir pas rejoint l’Irlande puis l’Espagne pour se protéger des islamistes illuminés comme il le prétend mais bien pour de viles raisons fiscales.
Désertant soudain son tapis de prière, Mahomet surgit tout fumasse :
— Nardinamouk, Houellebecq, va chier à La Mecque, j’y suis pour walou dans tes problèmes !
— Et dans les miens non plus ? gueula Taslima Nasreen. Tes fanatiques me pourchassent depuis plus de dix ans. Tout ça parce que j’ai incité les femmes à brûler leurs burqas.
— Nikoumouk, la moukère ! J’ai jamais parlé de dress code, moi ! Le coran, c’est pas les Trois-Suisses, merde !
— Eh ben parles-en à tes adeptes, ils arrêteront peut-être de nous taper sur le loukoum, à Salman Rushdie et à moi.
Aznavour, Prost et Hallyday le prirent mal.
— Euh… dis-donc, Mahomet, quand tu dis « les trois Suisses », c’est à nous que tu t’exprimes ? demanda Johnny.

Désespéré, Stefan Zweig menaça alors d’avaler tout le Lexomil de Houellebecq, si ça continuait. Mais il y avait de l’Hugo dans l’air et le gros Victor expédia Stefan au tapis d’un direct du droit dans les ratiches.
— Ce Zweig avait deux dents ! s’étonna Charles de Gaulle sans cesser de rouler ses dix-huit joints, en prévision de la longue assemblée générale qui se profilait.
— Allons, allons ! La violence ne résout rien, intervint le Dalaï Lama. L’amour et la compassion sont une nécessité, pas un luxe.
— Ouech ! le chinetoque, va dire ça à c’t’enculé d’Sinik, y m’a clashé grave sa mère, gros ! s’énerva Booba, le rappeur plus équipé en testostérone qu’en neurones. Tu sais c’qu’y m’a dit, chinetoque ? « La rue a tranché, Sinik a fumé Booba, mon blaze rime avec chimique, le tien avec trou d’balle. » Tu veux de l’amour et de la compassion, toi, après ça ?
— Je crois que toute souffrance est causée par l’ignorance, répondit Dalaï. Méditer vaut mieux que médire.
— Woh ! T’es pas croyable, mec ! T’as mangé le dico des citations ou quoi ?
Sans délai, le Dalaï deala une trêve entre les belligérants. Le calme revint sur le pont et tout le monde gagna finalement la grande salle de réunion. Marlene Dietrich ouvrit la séance en chanson sous les vivats de Bertolt Brecht et Kurt Weill, accoudés au Whisky Bar où Gustave Courbet dissertait en compagnie de Sigmund Freud sur l’Origine du monde :
— Le moins que l’on puisse dire, avança le père de la psychanalyse, c’est que vous n’avez pas facilité la tâche du fils de votre modèle, avec votre représentation si réaliste du sexe féminin.
— Moi, vous savez, se défendit Courbet, je ne cherchais pas à faire de psychologie. J’étais un réaliste, j’ai toujours tenu le symbolisme en horreur.
— Impossible de juguler votre inconscient, Gustave ! Il agi sur tous, même sur vous, même à votre corps défendant. Et là, que vous le vouliez ou non, cette œuvre a sans doute eu des répercussions œdipiennes sur le fils du modèle. Et sans doute même parle-t-elle de votre propre complexe d’Œdipe.
— Mais alors je peux réclamer des droits d’auteur, intervint Sénèque, jusqu’ici silencieux.
— Ce serait gonflé ! hurla Zola, jamais avide de combats moraux. J’accuse Sénèque de plagiat. Son Œdipe est pompé sur l’Œdipe roi de Sophocle.
Sur ces entrefaites, l’assemblée générale commença. Comme à son habitude, le président Chaplin préféra mimer le rapport moral plutôt que de le lire à haute voix.
J’expédiai le rapport d’activités. Celles-ci étaient devenues de plus en plus limitées au fil des ans. Elles consistaient en un onéreux voyage annuel, avec profusion de breuvages et victuailles.
— Gabegie ! Chienlit ! Gaspi !, ne cessait de dénoncer le général de Gaulle dont j’avais enregistré la candidature à la présidence tournante. En dépit de son goût modéré pour les dictateurs, Charlie Chaplin n’avait pas réussi, pendant son mandat, à dégoûter du pouvoir les autocrates en puissance. Ainsi, outre de Gaulle, Napoléon Bonaparte, Trotski et Alain Delon se présentaient cette année au suffrage de l’assemblée.
Le premier se proposait de supprimer la présidence tournante dès son élection et de devenir empereur à vie de l’AVEC. Le deuxième promettait de supprimer la présidence tout court et de fomenter une révolution aboutissant à la dictature du prolétariat. Je lui fis remarquer que notre Amicale ne comptait aucun prolétaire. Le troisième trouvait géniale son idée de rebaptiser notre association « Amicale Alain Delon ».
Bref, face à la menace de dérive autoritaire ou autocratique du pouvoir, les adhérents de l’AVEC suivirent l’argument d’Éric Cantona :
— Quitte à être dirigés par un Charlot, autant que ce soit l’original.
Chaplin fut donc reconduit dans ses fonctions.
MÊME LA NATURE A HORREUR D'OVIDE
À l’Amicale voyageuse des exilés célèbres, il était de tradition que le secrétaire fut un littéraire, sinon un poète. Avant moi, Pablo Neruda, ce poste ingrat de greffier demandeur de subventions avait vu défiler les plumes de Bertolt Brecht, Michel Houellebecq ou Victor Hugo. Seule entorse à cette tradition, pour une raison inexpliquée Marc Lévy avait hérité du poste lors du mandat précédant le mien.
Quoi qu’il en soit, cette année, nous aurions à choisir entre trois vieux prétendants : Sénèque, Dante et Ovide. Chacun fourbit ses arguments de campagne. En bon stoïcien, Sénèque souhaita rester hermétique aux tourments du monde et ne rien changer au fonctionnement associatif. Dante, au nom de la Trinité — qu’il avait fini par entrevoir en errant dans les trois règnes supraterrestres de sa Divine Comédie — plaida pour un secrétariat tricéphale. Quant à Ovide, ce jouisseur formula son programme en forme de slogan :
— Je veux Rome, des femmes, d’la cervoise, nom des dieux !
Plus rouge qu’un homard soviétique porté à ébullition, et encore vexé de ne pas avoir raflé la présidence, Trotski s’enflamma :
— Escroc ! Libertin ! Sybarite ! Débauché ! Pourceau ! Chaud latin ! Tais-toi donc !
Puis, réajustant ses minuscules binocles ovales au sommet de son nez, il prit l’assemblée à partie :
— Je vous préviens, camarades, je ne laisserai pas ce gros niqueur mondain accéder au secrétariat.
— Mais pourquoi tant de haine ? s’interposa Dalaï, désarmé. Si nous ne pouvons pas aider l’autre sur la voie de la sagesse, essayons au moins de ne pas le blesser.
— Toi, le cénobite à lunettes, fous-moi la paix avec ton opium du peuple. Personne ne peut supporter Ovide. Même la nature a horreur d’Ovide ! C’est pas moi qui le dis, c’est Aristote.
— Cessez donc de nous faire la morale, sac à Prusse, explosa Napoléon. Vous êtes bien trop à cheval sur tout, mon vieux. Nous ne sommes pas à Austerlitz, que diable ! Descendez donc un peu, on dirait moi ! En pire. Et arrêtez donc de brandir votre révolution à tout bout de champ de bataille.
— Jamais ! Hors révolution, point de salut ! Tout est révolution. La Terre elle-même est en perpétuelle révolution.
Albert Einstein pouffa dans sa moustache :
— Perpétuelle, perpétuelle… tout est relatif.
— Vous, fermez-là ! rétorqua Trotski. L’heure n’est pas à la rigolade mais à la gravité.
— Oui, c’est ma théorie : tout est gravité… pouffa Albert de plus belle.
Trotski vit plus rouge encore, c’était sa nature, et personne ne parvint à le calmer. Au contraire, il vira écarlate quand Freud lui proposa de s’allonger un instant sur un divan pour l’aider à sublimer son ça et dompter son surmoi moralisateur.
Inutile de préciser que l’interruption de séance qui suivit ne fut pas du luxe. Les débats reprirent dans le calme et, de mauvais gré, je fus reconduit dans mes fonctions de secrétaire.
Mais nous avions encore un trésorier à nommer. Autant la réélection de Chaplin et la mienne se concevaient, autant il y avait urgence à changer de trésorier. En désignant le Dalaï Lama à ce poste, il y a trois ans, les membres de l’AVEC avaient pensé se mettre à l’abri de tout risque de concussions, malversations et autres détournements de fonds. Il leur fallut se rendre à l’évidence : moins attaché aux chiffres qu’à l’être, le Lama avait signé des chèques à tour de bras, au point que la Cour des Comptes vienne nous chercher des poux dans la dette. Bonaparte fit battre monnaie : des millions de Napoléon, et tout rentra dans l’ordre.
— Ce Zweig avait deux dents ! s’étonna Charles de Gaulle sans cesser de rouler ses dix-huit joints, en prévision de la longue assemblée générale qui se profilait.
— Allons, allons ! La violence ne résout rien, intervint le Dalaï Lama. L’amour et la compassion sont une nécessité, pas un luxe.
— Ouech ! le chinetoque, va dire ça à c’t’enculé d’Sinik, y m’a clashé grave sa mère, gros ! s’énerva Booba, le rappeur plus équipé en testostérone qu’en neurones. Tu sais c’qu’y m’a dit, chinetoque ? « La rue a tranché, Sinik a fumé Booba, mon blaze rime avec chimique, le tien avec trou d’balle. » Tu veux de l’amour et de la compassion, toi, après ça ?
— Je crois que toute souffrance est causée par l’ignorance, répondit Dalaï. Méditer vaut mieux que médire.
— Woh ! T’es pas croyable, mec ! T’as mangé le dico des citations ou quoi ?
Sans délai, le Dalaï deala une trêve entre les belligérants. Le calme revint sur le pont et tout le monde gagna finalement la grande salle de réunion. Marlene Dietrich ouvrit la séance en chanson sous les vivats de Bertolt Brecht et Kurt Weill, accoudés au Whisky Bar où Gustave Courbet dissertait en compagnie de Sigmund Freud sur l’Origine du monde :
— Le moins que l’on puisse dire, avança le père de la psychanalyse, c’est que vous n’avez pas facilité la tâche du fils de votre modèle, avec votre représentation si réaliste du sexe féminin.
— Moi, vous savez, se défendit Courbet, je ne cherchais pas à faire de psychologie. J’étais un réaliste, j’ai toujours tenu le symbolisme en horreur.
— Impossible de juguler votre inconscient, Gustave ! Il agi sur tous, même sur vous, même à votre corps défendant. Et là, que vous le vouliez ou non, cette œuvre a sans doute eu des répercussions œdipiennes sur le fils du modèle. Et sans doute même parle-t-elle de votre propre complexe d’Œdipe.
— Mais alors je peux réclamer des droits d’auteur, intervint Sénèque, jusqu’ici silencieux.
— Ce serait gonflé ! hurla Zola, jamais avide de combats moraux. J’accuse Sénèque de plagiat. Son Œdipe est pompé sur l’Œdipe roi de Sophocle.
Sur ces entrefaites, l’assemblée générale commença. Comme à son habitude, le président Chaplin préféra mimer le rapport moral plutôt que de le lire à haute voix.
J’expédiai le rapport d’activités. Celles-ci étaient devenues de plus en plus limitées au fil des ans. Elles consistaient en un onéreux voyage annuel, avec profusion de breuvages et victuailles.
— Gabegie ! Chienlit ! Gaspi !, ne cessait de dénoncer le général de Gaulle dont j’avais enregistré la candidature à la présidence tournante. En dépit de son goût modéré pour les dictateurs, Charlie Chaplin n’avait pas réussi, pendant son mandat, à dégoûter du pouvoir les autocrates en puissance. Ainsi, outre de Gaulle, Napoléon Bonaparte, Trotski et Alain Delon se présentaient cette année au suffrage de l’assemblée.
Le premier se proposait de supprimer la présidence tournante dès son élection et de devenir empereur à vie de l’AVEC. Le deuxième promettait de supprimer la présidence tout court et de fomenter une révolution aboutissant à la dictature du prolétariat. Je lui fis remarquer que notre Amicale ne comptait aucun prolétaire. Le troisième trouvait géniale son idée de rebaptiser notre association « Amicale Alain Delon ».
Bref, face à la menace de dérive autoritaire ou autocratique du pouvoir, les adhérents de l’AVEC suivirent l’argument d’Éric Cantona :
— Quitte à être dirigés par un Charlot, autant que ce soit l’original.
Chaplin fut donc reconduit dans ses fonctions.
MÊME LA NATURE A HORREUR D'OVIDE
À l’Amicale voyageuse des exilés célèbres, il était de tradition que le secrétaire fut un littéraire, sinon un poète. Avant moi, Pablo Neruda, ce poste ingrat de greffier demandeur de subventions avait vu défiler les plumes de Bertolt Brecht, Michel Houellebecq ou Victor Hugo. Seule entorse à cette tradition, pour une raison inexpliquée Marc Lévy avait hérité du poste lors du mandat précédant le mien.
Quoi qu’il en soit, cette année, nous aurions à choisir entre trois vieux prétendants : Sénèque, Dante et Ovide. Chacun fourbit ses arguments de campagne. En bon stoïcien, Sénèque souhaita rester hermétique aux tourments du monde et ne rien changer au fonctionnement associatif. Dante, au nom de la Trinité — qu’il avait fini par entrevoir en errant dans les trois règnes supraterrestres de sa Divine Comédie — plaida pour un secrétariat tricéphale. Quant à Ovide, ce jouisseur formula son programme en forme de slogan :
— Je veux Rome, des femmes, d’la cervoise, nom des dieux !
Plus rouge qu’un homard soviétique porté à ébullition, et encore vexé de ne pas avoir raflé la présidence, Trotski s’enflamma :
— Escroc ! Libertin ! Sybarite ! Débauché ! Pourceau ! Chaud latin ! Tais-toi donc !
Puis, réajustant ses minuscules binocles ovales au sommet de son nez, il prit l’assemblée à partie :
— Je vous préviens, camarades, je ne laisserai pas ce gros niqueur mondain accéder au secrétariat.
— Mais pourquoi tant de haine ? s’interposa Dalaï, désarmé. Si nous ne pouvons pas aider l’autre sur la voie de la sagesse, essayons au moins de ne pas le blesser.
— Toi, le cénobite à lunettes, fous-moi la paix avec ton opium du peuple. Personne ne peut supporter Ovide. Même la nature a horreur d’Ovide ! C’est pas moi qui le dis, c’est Aristote.
— Cessez donc de nous faire la morale, sac à Prusse, explosa Napoléon. Vous êtes bien trop à cheval sur tout, mon vieux. Nous ne sommes pas à Austerlitz, que diable ! Descendez donc un peu, on dirait moi ! En pire. Et arrêtez donc de brandir votre révolution à tout bout de champ de bataille.
— Jamais ! Hors révolution, point de salut ! Tout est révolution. La Terre elle-même est en perpétuelle révolution.
Albert Einstein pouffa dans sa moustache :
— Perpétuelle, perpétuelle… tout est relatif.
— Vous, fermez-là ! rétorqua Trotski. L’heure n’est pas à la rigolade mais à la gravité.
— Oui, c’est ma théorie : tout est gravité… pouffa Albert de plus belle.
Trotski vit plus rouge encore, c’était sa nature, et personne ne parvint à le calmer. Au contraire, il vira écarlate quand Freud lui proposa de s’allonger un instant sur un divan pour l’aider à sublimer son ça et dompter son surmoi moralisateur.
Inutile de préciser que l’interruption de séance qui suivit ne fut pas du luxe. Les débats reprirent dans le calme et, de mauvais gré, je fus reconduit dans mes fonctions de secrétaire.
Mais nous avions encore un trésorier à nommer. Autant la réélection de Chaplin et la mienne se concevaient, autant il y avait urgence à changer de trésorier. En désignant le Dalaï Lama à ce poste, il y a trois ans, les membres de l’AVEC avaient pensé se mettre à l’abri de tout risque de concussions, malversations et autres détournements de fonds. Il leur fallut se rendre à l’évidence : moins attaché aux chiffres qu’à l’être, le Lama avait signé des chèques à tour de bras, au point que la Cour des Comptes vienne nous chercher des poux dans la dette. Bonaparte fit battre monnaie : des millions de Napoléon, et tout rentra dans l’ordre.
Trois membres briguaient le poste de trésorier. On évacua sans trop d’anicroches la candidature de Benazir Bhutto, jadis accusée de corruption, et celle d’Imelda Marcos, l’ex-dispendieuse et excentrique première dame des Philippines. Patrick Balkany nous donna plus de fil à retordre. Surtout à Zola, inébranlable procureur, bien décidé à démasquer le sulfureux faisan des Hauts-de-Seine. C’est bien simple, Balkany avait réponse à tout. Zola l’accusa d’abord d’usurpation du titre d’exilé. Mais le bonimenteur de Levallois-Perret démontra qu’il vécut bien en exil, sur l’île de Saint-Martin, au mitan des années quatre-vingt-dix. Réfugié dans les Caraïbes pour atténuer le bruit des casseroles qui lui traînaient au cul, il s’y était mis au vert plus de cinq ans.
Zola évoqua ensuite l’incompatibilité d’un poste de trésorier avec une condamnation pénale pour prise illégale d’intérêt doublée de deux ans d’inéligibilité.
— Prescription ! objecta Balkany. Il y a prescription.
Et il avait raison.
Zola tenta enfin de le coincer sur ses plus récentes affaires de fraudes fiscales, corruption passive, favoritisme. Débonnaire, le margoulin de Levallois usa de sa rhétorique retorse habituelle pour contrer l’argument en rigolant :
— J’ai peut-être détourné cinq ou dix millions d’euros, allez… peut-être quinze ou vingt, mais ce n’est rien comparé aux cinq cents millions détournés par Charles Pasqua ! Et que dire des cinquante milliards de dollars chouravés par Bernard Madoff ?
— Sophisme ! s’écria Aristote.
Ce à quoi Balkany répondit qu’une figure de style n’était pas de taille à l’empêcher de se présenter.
— Le sophisme n’est pas une figure de style mais une argumentation fallacieuse, abruti ! lâcha Aristote.
— Allons, allons ! pria Dalaï, ça ne va pas recommencer. Sortons de cet engrenage malsain.
— Engrenage… mécanique antique, se marra Einstein.
Sur ce, Houellebecq demanda à quelle heure on arrivait parce qu’il commençait à avoir le mal de mer.
— Mal de mer : mal de mère, analysa doctement Freud.
Houellebecq rétorqua que Sigmund serait bien inspiré de lui lâcher la grappe avec sa psychologie de comptoir, puis pria de Gaulle qui passait au pas de l’oie de le dépanner d’un bédo :
— Eh, Charlie, tu fais tourner ? Combien il te reste de mégots, sur tes dix-huit joints ?
— Booba m’en a fumé plein, la chienlit d’sa mère. Attends je re-compte : un, deux, trois, quatre, cinq… il me reste six clopes.
— Ah non ! Pas de Cyclope, beugla Ulysse, je m’en suis déjà fadé un. Je vous préviens, le premier qui me parle encore de Cyclope, ça va chier dans la moussaka !
— Calmos, boloss, y a pas d’os ! répondit le grand Charles. On parle chichon, pas baston.
— Ah ok ! N’empêche, pas question de me retaper une Odyssée, je vous le dis du tac-au-tac.
— D’Ithaque au tac ! Génial lapsus ! glapit Freud. Lapsus révélateur ! Ton île te manque, n’est-ce-pas ?
— Possible, reconnut Ulysse.
— La possibilité d’une île… Ça me ferait un bon titre, ça ! ricana mollement Houellebecq, nauséeux mais super bien détendu après les deux grosses taffes qu’il venait de tirer sur le bédo de Charlie. Tiens ! ça s’arrose : je vais me faire un Xanax Fitou.
Complètement foncedés, Charles de Gaulle et Michel Houellebecq exigèrent qu’on les déposât à Colombey pour un dépôt de gerbe. Leur emboîtant le pas, Ovide qui, comme eux, était plein, émit le vœu d’un week-end à Rome. Stefan Zweig voulut qu’on revienne à Vienne. Benazir eut préféré repasser un instant au Pakistan.
Seul maître à bord après Zeus, Ulysse les envoya tous paître :
— Mais vous commencez à me courir sur le tzatziki, tous autant que vous êtes ! Je m’appelle Ulysse, pas Uber. Je rentre chez moi. Point final ! Ne vous en déplaise, destination Péloponnèse.
Bref, pas plus que quiconque ne parvint à empêcher l’élection de Balkany, rien ni personne ne put faire entendre raison au héros de l’Iliade.
Et c’est ainsi que l’AVEC, pour la première fois de son histoire, se fit voir chez les Grecs.